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La pastorale du Cézallier : estive sur les hauts plateaux du Cantal

L’événement réunit jusqu’à 14 races de vaches Salers de moyenne montagne, dont les cornes sont parfois parées de fleurs ou de rubans pour l’occasion. L’événement réunit jusqu’à 14 races de vaches Salers de moyenne montagne, dont les cornes sont parfois parées de fleurs ou de rubans pour l’occasion. - © Bruno Morandi / Détours en France

Publié le par Tuul Morandi

Vaste territoire réputé pour ses burons, les hautes terres du Cézallier perpétuent une très ancienne tradition de transhumance. Chaque printemps, les troupeaux de bovins quittent fermes et vallées pour la « montade », où ils rejoignent les pâturages d’altitude à l’herbe grasse. Depuis 1991, éleveurs, habitants et de nombreux visiteurs se retrouvent à Allanche pour fêter cette pratique ancestrale. Nous les avons suivis…

La transhumance du troupeau de Jérôme Fournal sur le plateau du Cezallier dans le Cantal.
© Bruno Morandi / Détours en France

« Je n’ai pas regardé ma montre, il était 5 ou 6 heures. Nous nous sommes levés très tôt pour rassembler les 80 vaches et les faire venir jusqu’ici », raconte Serge Delpuech, brandissant son long bâton en direction des animaux. Comme ses dizaines de compagnons, ce septuagénaire énergique « donne un coup de main » aux éleveurs des vaches Salers qui participent à la Fête de l’estive, ce samedi 28 mai à Allanche dans le Cantal. Meuglements et tintements de cloches se mêlent aux cris des hommes. La foule s’agite et chacun se fraie un chemin, appareil photo ou smartphone en main. Tous sont venus admirer les belles vaches à la robe acajou et aux cornes en forme de lyre, rassemblées en grand nombre au foirail du village de Maillargues. En contrebas, Allanche est à trois petits kilomètres où un public nombreux attend leur arrivée. « C’est pour commémorer notre tradition ancestrale de transhumance en estive qui se pratique ici depuis le Moyen Âge que nous organisons ces fêtes. Après un long hivernage, les vaches quittaient les plaines à la fin du printemps pour aller estiver pendant cinq mois sur les hauts plateaux du Cézallier et brouter les herbes d’altitude riches en diverses flores », explique Serge, ancien éleveur de bovins. « Dans le temps, nous y allions à pied et restions parfois sur place dans des burons avec les bêtes. Aujourd’hui, la plupart des éleveurs acheminent leurs troupeaux en camion, mais il y en a encore qui font la montade (montée en estive) à pied. Vous verrez demain... », continue ce passionné qui n’a pas raté une seule édition en trente ans.

 

Première terre d’estive de France

Le père Marie-Thomas bénit le cheptel à l’aide d’un rameau de buis peu avant le début de la transhumance.
© Bruno Morandi / Détours en France

Impeccablement vêtu d’une soutane blanche, le père Marie-Thomas explique, enthousiaste : « Avant tout, j’ai la joie de bénir l’énorme travail des hommes qui perpétuent notre savoir-faire. Je bénis aussi la vache Salers dont la renommée dans le monde est devenue notre fierté, nous te remercions d’avoir amélioré notre condition de vie et notre économie ! » Rameau de buis à sa dextre, il consacre le cheptel de ruminants en l’aspergeant d’eau bénite. En tout, huit grands troupeaux de huit éleveurs recevront la bénédiction avant de descendre entamer leur défilé à Allanche. Au micro, la voix de Rémi Beyle, un passionné bénévole, commente l’événement et nous conte l’histoire de l’estive. La montagne cantalienne est la première terre d’estive de France où pâturent plus de 100 000 bovins répartis sur un vaste territoire de 80 000 hectares. La commune d’Allanche, située au pied du mont Cézallier, en concentre la plus grande partie et on y venait du sud du Cantal, de la Corrèze, de l’Aveyron, parfois même de plus loin encore pour faire pâturer les bovins. « Allanche s’enorgueillit de posséder la première gare de France où les troupeaux en transhumance étaient acheminés par train ! », commente Rémi Beyle. Ouvert en 1907, le chemin de fer des estives du Cézallier (ligne Neussargues-Bort-les-Orgues) a fonctionné jusqu’aux années 1990.

Une grande parade annuelle

Les troupeaux défilent, un par demi-heure environ, dans la rue principale avec leurs éleveurs et accompagnants.
© Bruno Morandi / Détours en France

La bénédiction du prêtre achevée, les éleveurs guident leurs troupeaux vers Allanche. Avec son église fortifiée du XIIe siècle, la place forte du Cézallier, à 970 mètres d’altitude, a depuis toujours été un carrefour d’échanges régional dont les foires aux bestiaux étaient réputées. Au début des années 1990, le choix de cette commune s’est donc imposé naturellement comme lieu de célébration de la première manifestation des fêtes de l’estive. « Elle est située au cœur des estives. À peine vous sortez du bourg que vous vous trouvez dans les montagnes au milieu des troupeaux. Et combien de fois les Salers ont remonté la Grand-Rue pour se rendre tout simplement à leur terre d’estive sans qu’il y ait de fête », explique Philippe Deiber, président de l’Association de l’estive. Les vaches arrivent au son du tambour, des sifflements et traversent la rue sous les applaudissements des spectateurs pour atteindre la place du Cézallier. Installé sur une tribune dans la Grand- Rue, Philippe Deiber commente micro en main le défilé des belles à cornes : « Voici le premier troupeau, Mesdames et Messieurs, quarante vaches Salers de monsieur Flaget, éleveur. Elles sont superbes, mais gare aux cornes : la rue est étroite, mieux vaut leur céder le passage ! » À côté du défilé, différentes manifestations animent la petite cité : ici, une démonstration de fabrication de saint-nectaire ; là, une exposition sur les burons, tandis qu’au grand marché de nombreux fermiers locaux proposent des produits du terroir au son des groupes de musique et de danse folkloriques.

 

À l’assaut de la « montade »

Un long cortège accompagne le cheptel jusqu’au buron de Courbières, à 1300 m d’altitude, soit une marche d’environ 22 km aller-retour.
© Bruno Morandi / Détours en France

Dimanche 29 mai, 9 heures. Le soleil est déjà haut mais l’air est frais. À la grange de Jérôme Fournal, une quinzaine d’accompagnants, tous habillés en chemise blanche, chapeau noir et foulard rouge, s’agitent autour d’une quarantaine de Salers encore dans l’enclos. « S’habiller ainsi est une manière de marquer le coup, la montade est une étape importante de l’année pour nous », raconte l’éleveur en donnant les derniers ajustements à ses vêtements. Respectueux de la tradition, son troupeau monte à pied. « Nous montons à pied à l’estive depuis que nous sommes installés comme éleveurs en 1996. C’est une manière de perpétuer notre tradition et de fêter la montade avec nos proches », précise-t-il. Au coup de sifflet, le cortège se met en branle. Libérées de leurs enclos, les bêtes se mettent en route au pas de course, excitées de retrouver les pâturages d’altitude aux herbes délicieuses. Destination le buron de Courbières, à 1 300 mètres d’altitude. « Il faut environ quatre heures de marche pour atteindre l’estive située 400 mètres plus haut. La Salers est une race rustique qui marche très bien. Elle est capable de grimper sans grincher si la montée est progressive », nous dit Jérôme. Hommes et bêtes accordent leur pas et avancent ensemble à un rythme soutenu suivi par un public venu randonner en compagnie du troupeau. Au fur à mesure que nous montons en altitude, le panorama s’ouvre sur le massif cantalien avec, en sentinelle dans le lointain, le puy Mary, reconnaissable par sa forme conique. De vastes étendues sauvages, que l’on surnomme « la petite Mongolie » en raison de sa ressemblance avec un paysage de steppes, ondulent à perte de vue. Des troupeaux de Salers et d’Aubrac baguenaudent çà et là en liberté. Les glaciers ont modelé ici les hauts plateaux granitiques tout en courbes devenus, au fil des siècles, le royaume des bovins. L’activité de l’estive joue un rôle important dans l’entretien de l’espace naturel et les estives du Cantal ont reçu le label « Paysage de Reconquête » du ministère de la Transition écologique. Après une heure et demie de montée, en pente relativement douce, nous arrivons à Pradiers, à 1140 mètres d’altitude, le dernier village avant la terre d’estive. « Nous allons faire une pause ici et faire boire les bêtes à la fontaine », annonce Jérôme. L’ambiance est festive, les transhumants sont accueillis au son de l’accordéon et se voient offrir à boire à et à manger par les habitants. Jérôme entretien une relation particulière avec Pradiers car, depuis 1996, il loue à la commune ses terres d’estive. « L’estive est pour moi un besoin économique. Pendant que mes vaches se régalent de bonne fleurs d’altitude, l’herbage autour de ma ferme dans la plaine est préservé et il servira de foin en hiver. » La nécessité de libérer du pacage des terres autour des exploitations de basse altitude pour y produire le fourrage nécessaire en hiver a amené à déboiser les parcelles situées au-delà de 900 mètres, afin d’y accueillir les bêtes de mi-mai à fin octobre-début novembre.

Des pâturages à perte de vue

La transhumance du troupeau de Jérôme Fournal dans le Cantal.
© Bruno Morandi / Détours en France

Nous quittons Pradiers et ses maisons trapues en pierre et toits de lauze. Désormais, plus aucune habitation dans cette immense steppe. Vers 13 heures, nous atteignons enfin l’estive au pied du mont Courbières. Sur ces pâturages qui se déploient à perte de vue, les vaches s’éparpillent dans les prairies brouter leurs premières herbes des hautes terres. « Elles vont rester ici jusqu’à fin octobre en totale liberté, sans craindre aucun prédateur. Je viendrai les surveiller une fois par semaine », explique Jérôme, rassuré de voir son cheptel arrivé à bon port. « Autrefois, lorsque le buron de Courbières était encore debout, le vacher restait avec les bêtes pendant toute la période de l’estive, fabriquant sur place d’excellents fromages. Aujourd’hui, très peu d’éleveurs continuent cette pratique. De mon côté, je suis fier et heureux de perpétuer, à mon niveau, la tradition de la transhumance. »

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