Dans la famille des vins du Jura, demandez l’arbois. Vitrines d’un territoire viticole de 2 000 hectares étendu des portes d’Arc-et-Senans, au nord, à Saint-Amour, au sud, Arbois et ses environs affichent parmi les plus belles images du vignoble du Jura. Soient les paysages emblématiques des coteaux viticoles du Revermont, tournés vers l’ouest et le soleil couchant ; les grands domaines à forte notoriété ; les petits convertis à la viticulture saine ; les maisons vigneronnes typiques ; les festivités viticoles ; les travaux scientifiques que Pasteur mena ici sur la fermentation ; le musée de la Vigne et du Vin, témoin d’un savoir-faire et d’une histoire humaine uniques.
Le roi des vins de voile

Direction le musée de la Vigne et du Vin du Jura aménagé dans le château Pécauld, une bâtisse d’origine médiévale qui faisait partie des fortifications de la ville. On y apprend que l’arbois est le premier terroir vigneron de France à avoir obtenu une AOC, en 1936. Que cinq cépages s’y épanouissent, pas un de plus : le poulsard, le trousseau et le pinot noir pour les rouges ; le chardonnay et le savagnin pour les blancs. Que le savagnin est le roi des raisins jurassiens, à la base du vin dit aussi « vin de voile », considéré comme l’un des cinq meilleurs vins blancs au monde. Que ce cépage est suffisamment chargé en levures naturelles pour former un voile et donner, après au moins six ans et trois mois de vieillissement en fût de chêne, un vin aux arômes puissants et complexes. Que la première mention de ce vin jaune date de 1822. Que, à Arbois comme ailleurs dans le Jura, on produit aussi du vin de paille (vin sucré issu de raisins longuement séchés), du macvin (vin de liqueur), du crémant et du marc. Bref, que le vin d’Arbois, connu dès le Moyen Âge, fédère depuis des siècles une communauté d’hommes et de femmes qui fleurent bon la terre et la passion du métier.
Le saviez-vous ?
Pourquoi appelle-t-on le vin jaune vin « sous voile » ? Avant de se retrouver dans son flacon trapu, le clavelin, le nectar, à 100 % issu du cépage savagnin (rare et quasi exclusif au Jura), suit un long processus de transformation. Le sous-voile doit vieillir au minimum six ans, sans être ouillé, soit sans remplir le tonneau à mesure que le niveau baisse par évaporation naturelle (la fameuse part des anges). Par hyperoxydation, un voile de levure (la fleur) se forme. Celui-ci va ainsi permettre le développement des arômes caractéristiques du vin jaune.
Bardé de ce savoir, la balade dans la petite ville n’en est que plus intéressante. Coup d’œil obligé à l’église Saint-Just, dont le clocher trapu en calcaire brun, ancienne tour de guet du XVIe siècle, domine la ville du haut de ses 44 mètres. Dans la nef au style roman bourguignon, la tradition viticole n’a pas été oubliée. Un vitrail contemporain représente en effet deux personnages portant une grappe de raisin. Ils symbolisent le Biou, une fête organisée chaque année le premier dimanche de septembre pour célébrer les prémices des vendanges et offrir à Saint-Just, après une procession en ville, une grappe de 80 à 100 kg, composée de raisins rouges et blancs.

Pasteur, père de l’œnologie moderne

Depuis l’église, un joli itinéraire pédestre le long de la Cuisance bordée de vignes mène à la maison Pasteur, dont on ne soupçonne pas l’importance pour la viticulture. Si l’immense savant dolois, ayant vécu à Arbois, est mondialement connu pour son vaccin contre la rage, il a aussi percé les mystères de la fermentation viticole avec le concours des vignerons locaux. Il est considéré à ce titre comme le père de l’œnologie moderne. Transformée en musée, sa maison-laboratoire évoque ses travaux sur le vin ainsi que ses expérimentations menées dans sa vigne de Montigny-les-Arsures. Preuve de son attachement à Arbois, la maison expose le clavelin (bouteille de 62 cl) de vin jaune millésime 1774 que Pasteur déboucha en 1881 lors de son élection à l’Académie française.
Devant l’église Notre-Dame, transformée en... espace Louis-Pasteur (salle des fêtes), trône une statue du savant. Les deux bas-reliefs du socle résument sa vie de chercheur. D’un côté, les vaccins ; de l’autre, le monde paysan, symbole des bienfaits de ses théories sur la fermentation appliquées à la viticulture. Rappelons ici que pour ses funérailles nationales, en 1895, une délégation arboisienne emporta à Paris une couronne de raisins de 130 kg.
Caves médiévales et coopératives

Il est temps de découvrir les caves et les boutiques viticoles. Au passage, au fond de l’impasse de l’Abeille, donnant sur la Grande-Rue, on découvrira un magnifique ensemble de bâtiments vignerons, aux façades couvertes de lierre. Passé la place de la Liberté en partie entourée d’arcades, la rue de Bourgogne abrite plusieurs caves viticoles. Notamment celle de la Reine Jeanne, la plus historique. Au bas de quelques marches, dans la pénombre, on tombe sur ce splendide et long caveau (début du XIVe siècle), à deux nefs sur piliers voûtées d’ogives, qui renfermait les vins des comtes de Bourgogne. L’une de leurs filles, Jeanne, épousa Philippe V, roi de France de 1316 à 1322, devenant ainsi la reine Jeanne. De nos jours, les barriques accueillent les vins du domaine Arnoux, propriétaire du bâtiment où un espace de vente et de dégustation a été aménagé pour recevoir le public. Près de la cave, la tour Gloriette et l’étroit pont des Capucins, sur la Cuisance, témoignent une fois encore du passé médiéval d’Arbois. Le pont s’ouvre sur le faubourg Faramand, plus ancien quartier vigneron de la ville. On y croise des demeures à trois niveaux, d’une seule travée, composées d’une cave ouverte sur le trottoir par un « trappon », d’un logement d’habitation et d’un grenier surmonté d’une lucarne. Pour finir, cap sur le château Béthanie, siège de la fruitière viticole. À l’image des fruitières de comté, ces coopératives jurassiennes témoignent du travail collaboratif des vignerons locaux. Fondée en 1906 en réaction à la crise viticole, celle d’Arbois a contribué, avec d’autres, à l’amélioration de la qualité des vins du Jura, débouchant, en 1936, sur l’obtention de la fameuse AOC.

Les microclimats de Pupillin

À une grande enjambée d’Arbois, Pupillin regroupe, au pied des versants viticoles, un ensemble d’anciennes maisons vigneronnes joliment restaurées et fleuries. Capitale mondiale du poulsard, le cépage rouge typique du département 39, le village offre des points de vue magnifiques sur les vignobles du Jura. Au-dessus du village, un belvédère s’ouvre ainsi sur les coteaux de parcelles vertes, jaunes et rousses de l’automne. Orientées vers l’ouest et la Bresse comtoise, les vignes s’appuient sur une ligne de versants située entre la plaine et la montagne jurassienne, le Revermont. Cette ligne est constituée de différentes couches géologiques et de recoins de falaises, où des microclimats déterminent des terroirs spécifiques... et donc des vins aux saveurs complexes. À découvrir dans le secret des caves viticoles.
Jean-Michel Petit, l'expert de Pupillin
Il connaît tout des aléas des vins du Jura, des galères de vente des années 1990 aux soucis de production dus au réchauffement climatique, en passant par la surcharge administrative... L’ancien président de l’AOC Arbois n’en a pas pour autant perdu la foi en la vigne, conscient que l’avenir mise sur la qualité de la production et une bonne communication. « Dans les années 2010, les vignerons de Pupillin sont progressivement passés au bio. Aujourd’hui, 70 % du village est labellisé et plus aucun jeune ne s’installe en conventionnel », dit-il. Son domaine de la Renardière, l’un des treize de la commune, est même à 80 % en biodynamie. « Au départ, nous avons fait cette conversion pour nous, pour travailler dans un environnement plus sain. » Cela a payé, au point que les vins de Pupillin « pourraient tous se vendre à l’export. Mais on s’éloignerait du concept de circuit court ! », ajoute le vigneron. Il nous entraîne sur ses terres, dans un « parc à huîtres » au sol jonché de queues de bélemnites. La géologie du village est si particulière que les bouteilles de vin portent la mention de l’origine, ici « Arbois Pupillin ».