
Les « enfants du boucher » n’existent pas. Du moins, pas dans la légende de saint Nicolas. À Nancy, sous ce nom accrocheur, près de 80 musiciens, âgés de 10 à 70 ans, composent une joyeuse fanfare qui ouvre à grand bruit les festivités de la Saint- Nicolas autour du 6 décembre.« Je m’inspire de l’imaginaire de ce personnage pour composer un répertoire original », explique Nicolas Arnoult, jazzman de formation et directeur artistique du projet lancé en 2016 par la ville. La fébrilité règne dans la salle de musique L’Autre Canal, près de la Meurthe, où les musiciens sont réunis ce matin pour une dernière répétition. « On mise sur le côté créatif et participatif de la Saint-Nicolas tout en s’appuyant sur une tradition de fanfare bien ancrée dans une Lorraine autrefois minière et industrielle », poursuit l’artiste qui balaie du regard les sept sections d’instruments à vent et de percussions. Et de pointer dans la salle ce qui ressemble à un tambour japonais taïko, fabriqué par des enfants et un ébéniste à partir d’un fût de vin du Toulois.
Une fanfare dans la nuit

« J’adore l’ambiance de troupe, l’approche contemporaine et le dynamisme des compositions avec du gros son de batterie pour se faire entendre », s’enthousiasme Dominique Caclin, clarinettiste habitué à jouer dans des orchestres et enrôlé dans la fanfare depuis le début. Du « gros son », il en faut pour jouer place Stanislas au début du grand week-end de la Saint-Nicolas, avant le défilé. À la nuit tombée, les savantes illuminations des fêtes révèlent plus que jamais le magnifique ordonnancement des édifices de cette place imaginée par Stanislas Leszczynski, dernier duc de Lorraine, pour rendre hommage à la royauté éclairée du XVIIIe siècle. L’immense sapin des Vosges d’une vingtaine de mètres, richement décoré, volerait presque la vedette aux gracieux candélabres ornés de ferronneries recouvertes de feuilles d’or. Des lumières bleues glissent sur la façade de l’opéra de Nancy, soulignant le trait fin des balcons en fer forgé et l’opulence des lustres derrière chaque fenêtre. L’impression de contempler des dessins ajourés... C’est aux balcons et sur une estrade au pied de l’opéra la vedette aux gracieux candélabres ornés de ferronneries recouvertes de feuilles d’or. Des lumières bleues glissent sur la façade de l’opéra de Nancy, soulignant le trait fin des balcons en fer forgé et l’opulence des lustres derrière chaque fenêtre. L’impression de contempler des dessins ajourés... C’est aux balcons et sur une estrade au pied de l’opéra que Les Enfants du boucher, tablier maculé de sang et calot sur la tête, s’installent avec leurs instruments. Portés par la batterie, ils font vibrer les cuivres et emportent vite le public à l’unisson d’une rythmique tonique qui réchauffe la nuit.

Quarante jours de festivités en centre ville

Cette ferveur collective, ce grand moment de partage, Nancy essaie de l’essaimer dans la ville où plusieurs petits marchés sont autant de points de rencontre autour de gourmandises, de vins chauds et de produits artisanaux. Parmi les douceurs, le pain d’épice occupe une place de choix, souvent présenté dans une forme rectangulaire, avec une image figurant saint Nicolas, évêque avec sa chape rouge, sa mitre et sa crosse, parfois escorté de son âne. L’iconographie traditionnelle comprend aussi le Père Fouettard, trois enfants et le boucher. « La légende de saint Nicolas est fixée au xiie siècle, mais c’est la Complainte de saint Nicolas, recueillie par Gérard de Nerval en 1842 et mise en musique en 1864, qui va la populariser », explique Nadia Hardy, guide-conférencière. Et de fredonner « Il était trois petits enfants qui s’en allaient glaner aux champs... » racontant comment le saint ressuscite dans le saloir du boucher les enfants coupés en petits morceaux. La programmation du week-end et des quelque 40 jours qui anime la ville de fin novembreà début janvier comprend aussi l’exposition d’œuvres artistiques. L’occasion de voir comment des plasticiens locaux interprètent la tradition et s’emparent de l’esprit des fêtes. Place du Colonel-Driant, l’ébéniste d’art Bastien Ruhland poursuit une réflexion sur le recyclage avec des sculptures en palettes démontées. Après avoir créé un arbre de Noël en 2020, il a conçu en 2021 un immense « cadeau tombé du ciel » constitué de près de 250 palettes. De quoi inspirer le public pour imaginer des décorations écologiques dans leurs foyers.
Machines fantastiques

L’événement phare des festivités de la Saint-Nicolas reste le défilé, programmé le samedi soir suivant un parcours en centre-ville qui s’achève place Stanislas. Curieux de découvrir les coulisses de cette grande parade, nous retrouvons ses acteurs place Carnot, à la lisière de la vieille ville. À l’entrée de l’espace réservé aux troupes,un cheval de 4 mètres hoche la tête et vient planter son regard dans le nôtre. L’animal, marionnette géante articulée, se meut lentement grâce à un jeu de courroies actionnées par des manipulateurs installés à l’arrière. « Il faut être cinq pour le faire avancer, confie l’un d’eux. À partir d’une ossature en métal, c’est l’habillage en résine et en latex qui lui donne ce côté réaliste. » Chevâl est une des marionnettes vedettes de la compagnie bretonne Paris Bénarès qui apporte un peu de poésie dans le défilé. Depuis une dizaine d’années, danseurs, échassiers, acrobates et musiciens se glissent entre les chars amateurs décorés par les communes du Grand Nancy pour offrir aux visiteurs un spectacle de haute volée. Les machines fantastiques de la compagnie Planète Vapeur, originaire de Nice, sont aussi des habituées. « On est heureux de venir à Nancy montrer notre savoir-faire. Avec notre sauterelle, notre araignée ou notre éléphant, on veut emmener les visiteurs dans un voyage imaginaire », explique Sébastien Povigna, dont la famille s’est spécialisée dans les arts de rue depuis cinq générations.

Derrière lui, une sauterelle redresse son corps long de 12 mètres, se pare de couleurs vives avec des éclairages intérieurs et étire ses pattes antérieures. Plus loin, dans la grande tente centrale, des danseuses s’échauffent et se maquillent, des techniciens commentent le programme du défilé, des acrobates enfilent leur costume. Des bénévoles viennent d’arriver,on leur confie une marionnette en forme de tête de cheval à porter à bout de bras. Ils ouvriront la parade avec Le Bal, un premier tableau dela compagnie Remue-Ménage. Le froid n’empêche pas les Nancéens et les visiteurs de venir en masse assister au défilé qui démarre à 18 heures, place Carnot. Il réunit en moyenneprès de 100000 personnes. Le cortègea l’habitude d’emprunter les ruesde la Monnaie et Lafayette, passant devant la basilique Saint-Epvre. Ilfaut pousser la porte de cet édifice néogothique rayonnant du XIXe siècle. Dans le transept droit, le maître verrier Jacques Gruber, grande figure de l’Art nouveau à Nancy, a signé un vitrailposé en 1921. Il représente le saint patron de la Lorraine aux côtés de la sainte patronne d’Alsace, sainte Odile, célébrant la réunification des deux territoires... Pour observer la parade, la place de la Carrière est idéale car elle a été pensée pour être le manège des entraînements de la cavalerie militaire au XVIe siècle.


La Saint-Nicolas, l'autre fête des enfants
Selon la tradition, saint Nicolas fait le tour des villes, des écoles et des maisons dans la nuit du 5 au 6 décembre pour demander aux enfants s’ils ont été obéissants. Les enfants sages sont récompensés par des friandises et des cadeaux; les moins méritants reçoivent une remontrance et un coup de trique du Père Fouettard, le sombre compagnon de Saint-Nicolas. Autrefois, les tout-petits déposaient près de la cheminée un verre de lait pour saint Nicolas, des carottes et un peu de foin pour son âne.
Visiter le "village de la marmaille"

À son extrémité nord, le palais du Gouvernement est l’ancienne résidence de l’intendant de Lorraine, représentant de la royauté quand le duché passe sous domination française à la fin du XVIIIe siècle. Scandé de colonnes et de balustrades enguirlandées de lampions, il se métamorphose en décor enchanteur les nuits de la Saint-Nicolas. Devant l’édifice, sous les allées de tilleuls de la place, un « village de la marmaille » s’installe le temps des festivités avec des animations et une scénographie vintage qui séduit autant les enfants que les parents. Au sud, l’arc de triomphe Héré ouvre sur la place Stanislas. C’est sur cette dernière que nous prenons place pour assister au défilé qui débute en musique avec Le Bal. Échassiers entièrement illuminés, danseuses qui virevoltent, hapeautées d’abat-jour éclairés, calèche tirée par un majestueux cheval blanc irradiant de lumière, pluie de confettis blancs...


C’est un spectacle onirique éblouissant qui ouvre les réjouissances. Près de deux heures trente plus tard, quand les chars amateurs, les fanfares et les compagnies ont fini d’enthousiasmer le public, le char de saint Nicolas clôt l’événement. Très attendu, le héros descend de son véhicule et rejoint le grand balcon de l’hôtel de ville où le maire lui remet les clés de Nancy. À Saint-Nicolas-de-Port, à une dizaine de kilomètres au sud-est de Nancy, une autre célébration se déroule le samedi soir qui précède le 6 décembre. « À la fin du XIe siècle, selon la tradition, une phalange du saint aurait été ramenée de Bari par un certain Aubert de Varangéville et déposée dans un prieuré de Port. Très vite, on constate des miracles et un pèlerinage se développe. L’église est agrandie et les ducs de Lorraine s’y intéressent. Au début du XVe, Charles II offre un premier bras reliquaire en argent pour contenir la précieuse phalange. Son gendre René II en fera faire un également. Le nom apparaît aussi dans la famille ducale. Mais c’est René II, victorieux de Charles le Téméraire après avoir prié saint Nicolas, qui lance en 1495 la construction de l’immense édifice gothique flamboyant que vous avez sous vos yeux », explique Catherine Guyon, maître de conférences en histoire du Moyen Âge à l’université de Lorraine.
Procession aux flambeaux

La ville de Port, forte de l’activité de pèlerinage et de commerce des draps, des céréales, des chevaux et des épices, est alors une place financière de Lorraine plus importante que Nancy. « La basilique a les proportions d’une cathédrale. Ses deux tours, parmi les plus hautes de Lorraine, avec 82 et 84 mètresde hauteur, dépassent celles de la cathédrale de Toul. Ses vitraux sont également remarquables », souligne l’historienne. En cette nuit de célébration, nous entrons par une porte latérale. Le chant liturgique, le parfum capiteux de l’encenset le rythme étourdissant de la lente déambulation des fidèles, cierge à la main, nous happent dans une bulle spirituelle dont on a du mal, au début, à saisir le sens. Il faut s’accoutumer au mouvement répétitif de la procession sous les hauts volumes de la nef et des collatéraux, et bien tendre l’oreille au refrain : « Saint Nicolas, ton crédit d’âge en âge ; A fait pleuvoir tes bienfaits souverains. Viens, couvre encore de ton doux patronage, tes vieux amis, les enfants des Lorrains ! » La tradition de cette procession aux flambeaux remonte au 6 décembre 1240 quand le sire de Réchicourt, un croisé lorrain prisonnier à Gaza, est miraculeusement libéré et déposé avec ses chaînes sur le parvis de l’église Saint-Nicolas-de-Port. Des chaînes qui sont exposées durant la procession tout comme le bras reliquaire du saint. L’évêque de Nancy, des prêtres chrétiens et orthodoxes se joignent aux fidèles dans la basilique. « Saint Nicolas est aussi célébré au printemps, le 9 mai, jour de la translation des reliques », souligne l’historienne. Le reste de l’année, la basilique continue d’accueillir des pèlerins dans les pas de ceux du XIIe siècle.
