Fugue océane

Rendez-vous à la guinguette Kulunka, sur les bords de l’Adour, près du parking de la place Charles- de-Gaulle. À Bayonne, il faut savoir prendre son temps. Quoi de mieux que savourer un café avec vue sur les quais et le quartier Saint-Esprit ?

L'itinéraire colle au plus près des flots et se glisse sous le pont Henri-Grenet, silhouette rouge reconnaissable entre mille. Voilà la pêcherie des Allées marines, bien connue des Bayonnais. Quatre bateaux y vendent chaque matin leurs bars, soles, pageots et autres merlus. Sur l’autre rive, les hangars, grues et silos à grain dessinent un univers à part, celui du port commercial de Bayonne, le neuvième de France avec son trafic annuel de 4 millions de tonnes. À chaque coup de pédale, le paysage se peaufine. Les méthaniers se font plus gros, les grues deviennent forêt, silos et cuves ont des allures de châteaux du futur.
Autoroute marchande
Le pont Henri-Grenet marque la séparation entre la ville et son port. Il est loin le temps où, dans la ville consacrée arsenal royal, les bateaux s’amarraient au pont Saint-Esprit et les appontements des Allées marines étaient hérissés de mâts. L’Adour était alors une autoroute de marchandises, pierre calcaire de Bidache, sel de Salies-de-Béarn, volailles de Chalosse, armagnac, barriques de vins et poteaux de bois de pin... Cette navigation prit fin dans les années 1990.
Anglet a vite succédé à Bayonne, et dans l’air flotte un doux parfum de vacances. Avenue de l’Adour, une surprise nous attend. L’Hermione goûte au repos dans un chantier. En cale sèche depuis deux ans et demi, la belle frégate subit un important carénage, dû à la présence d’un champignon. Plus importants que prévu, les travaux ont l’avantage de permettre aux visiteurs de suivre la remise à flot en 2025.
La piste se poursuit, en laissant à gauche la forêt du Pignada. Elle longe le port de plaisance du Brise-Lames, dépasse le restaurant Le Poisson à voile, d’où s’échappent d’irrésistibles effluves de grillades, et débouche sur le parking de la Patinoire. Encore quelques coups de pédale et voilà l’instant magique de la disparition d’un fleuve dans les bras de l’océan. Un énorme cargo s’apprête à entrer dans le chenal ; non loin, quelques baigneurs prennent le soleil sur la plage de la Barre tandis qu’un pêcheur y tente sa chance.
De la Barre à la Chambre d’Amour, la vocation balnéaire d’Anglet l’emporte avec ses onze plages, ses clubs de surf et sa promenade de 4 kilomètres : les amoureux de la mer y verront une belle occasion de poursuivre la balade.
Roman fluvial
Pour rejoindre le quai Resplandy, d’où part le premier tronçon de la Véloroute V81, il suffit de suivre la rive gauche de l’Adour depuis son embranchement avec la Nive, en plein centre. La piste suit d’abord Mousserolles, quartier dans la prolongation du Petit Bayonne, qui possède encore une porte fortifiée et des casemates. En surplomb du fleuve, l'itinéraire est très agréable avec sa passerelle en bois et ses encorbellements. Là, les façades s’encanaillent et d’anciens ateliers – ici, une cidrerie ; là un trinquet – viennent joliment ponctuer le décor.
La partie suivante est un peu gâchée par le trafic routier de la D261, d’autant que l’autoroute n’est pas loin. Sitôt le pont de l’A63 dépassé, le bruit des camions s’estompe. Le paysage est moins pimpant. Il nous faut traverser la zone d’activités de Lahonce, en empruntant la rue Lanes. Lahonce marque la limite du Bas-Adour. Là, les villages sont coupés en deux. En bas, le port et, plus haut sur la colline, l’essentiel des maisons. Mais où sont les barthes, les oiseaux et les gabares ?
Paysages bucoliques
Les gabares attendront. Au prochain rond-point, nous tournons le dos à l’Adour en empruntant une piste qui suit la D312, direction Briscous, puis à gauche sur la route Récart. Le paysage s’adoucit et devient bucolique. La piste traverse les champs de maïs, les prairies, les petits bois. De Bayonne jusqu’à Dax, les barthes sont des zones agricoles inondables, aménagées au XVIIe siècle par les Hollandais qui souhaitaient réguler les débordements de l’Adour. Ce milieu mosaïque est une terre d’élection pour les oiseaux nicheurs et de passage, et classée zone Natura 2000. Aigrettes, busards des roseaux et cigognes sont familiers des lieux. Aujourd’hui, nous n’en voyons aucun, peut-être parce qu’il fait très chaud. Un panneau annonce pourtant la présence d’une palombière, preuve de l’intérêt des migrateurs pour le coin.

Le lac de Lahonce apporte une fraîcheur bienvenue, endroit rêvé pour une pause. Il faut ensuite le contourner par la gauche et suivre une voie ferrée jusqu’à croiser la D261. il ne reste plus qu’à la franchir pour revenir vers le fleuve, le petit port et son école nautique. Une passerelle nous invite à aborder l’île de Lahonce : un bras de l’Adour, l’Aïguette, l’a détachée de la terre ferme. Elle est occupée par la culture du maïs et du piment. Ici, toute terre arrachée au fleuve est une victoire ! Après avoir à nouveau franchi l’Aïguette, la piste sous les peupliers rejoint enfin le fleuve, d’abord en solo, puis conjointement à la D261, sur une voie verte étroite mais bien protégée. Enfin l’occasion de savourer d’admirables points de vue sur le cours majestueux de l’Adour, ses îles fluviales, Broc et Bérenx, ses appontements désœuvrés qui soupirent après les gabares d’autrefois.
Des îles, un château
Voilà Urcuit, ou plutôt son port. Le village vivait autrefois de la pêche au saumon et à la pibale, et du commerce fluvial. De style labourdin, la blanche église Saint-Étienne du XVIIIe siècle vaut le détour pour son porche et son retable. Nous franchissons par une passerelle l’Ardanavy, petite rivière buissonnière qui se jette dans l’Adour. Nous tournons à droite pour suivre son cours, après être passés sous la départementale. La balade sur sa rive droite est un régal, abrité de la chaleur sous les frondaisons, et se poursuit sur 2 kilomètres avant d’emprunter à gauche un chemin bordé de platanes. Une nouvelle traversée de la D261 pour rejoindre à nouveau l’Adour sur un ravissant chemin de halage. Surface d’huile et courbes majestueuses, le fleuve est une invitation à une sieste rêveuse. Un vieux cabestan installé sur la rive nous rappelle que les anciens y pratiquaient la pêche...

En face, sur la rive droite, une façade classique se mire dans les eaux calmes. Il s’agit du château de Montpellier, élégante bâtisse du XVIIIe qui appartenait à une famille de riches négociants de Bayonne. Une fois à Urt, un ponton, une cale à gradins de pierre, ou encore l’Auberge de la Galupe témoignent du passé marinier des lieux. Port naturel de Basse-Navarre, le village a été fondé vers l’an mil par des pêcheurs. Un pont de style Eiffel consacre le point de passage entre le Pays basque et les Landes. Ainsi, nous sommes au cœur d’un territoire mi-basque, mi-gascon, le Pays Charnégou, « chair mêlée » en gascon, qui file de La Bastide-Clairence jusqu’à Bidache.

Des façades cossues, chaulées de blanc, une église trapue et la tombe de Roland Barthes qui passait ses étés ici, dans la maison familiale... Urt vaut largement une visite, même si ça grimpe sec. Le retour à Bayonne se fait par le même chemin ; sinon direction la gare, où quelques TER circulent en fin de journée.