C'est au bout de la D18, celle-là même qui dessert aussi la randonnée d’Okabe, que se trouve le point de départ de notre marche. On éprouve une curieuse sensation sur cette route qui finit en cul-de-sac, au fond d’une vallée mangée de sapins. Auparavant, un panneau annonçait la chapelle de la Virgen de las Nieves. Mais où est-elle ? Juste avant d’arriver au cul-de-sac, un chemin de pierre sur la gauche conduit 700 mètres plus bas au parking de Paxula, qui sert aussi à entreposer les grumes de bois.
Les chemins de la Résistance

À droite du panneau explicatif démarre une piste qui s’enfonce dans la forêt. La végétation dense et le sous-bois sombre n’ont rien à voir avec la hêtraie lumineuse d’Okabe. Je songe aux légendes qui courent par ici, notamment celle du Basajaun, sorte de yéti basque, protecteur des troupeaux et seigneur de la forêt. Nul doute qu’il réside aussi par ici. La piste descend en lacet et suit la rive gauche du ruisseau Iraty. Une première station aménagée reconstitue le câble-bois aérien qui acheminait les troncs jusqu’à la scierie de Mendive, soit un parcours de 20 kilomètres pour un dénivelé de 1 000 mètres.
Très utilisé dans les années 1920, il servit aussi pendant la Résistance et se révéla fort utile pour les activités de contrebande. La piste suit le ruisseau, ponctuée de quatre panneaux sur les saisons à Iraty, sa faune et sa flore. Le bruit de l’eau contribue à la sensation de fraîcheur, si agréable en plein été. Nous croisons bientôt les voies Decauville, des rails démontables qui remplaçaient la traction animale dans les zones au relief compliqué. Trop petites pour laisser circuler des locomotives, elles servaient surtout de plateformes de transport pour les grumes. Nous poursuivons au fil du rio. Çà et là, des trous d’eau incitent à la baignade. Si la tentation est forte, nous avons hâte de rejoindre les « Casas de Iraty ». Situées en Espagne, ces maisons étaient à la fin du XVIIIe siècle des ateliers de fabrication de mâts, rames et planchers de bateaux destinés à la marine espagnole. Derrière subsistent les ruines d’un petit fort militaire, dont les troupes napoléoniennes s’emparèrent en 1808.
L’endroit servit à cacher des résistants pendant la Seconde Guerre mondiale et, en 1961, un militant communiste, El Campesino, s’y réfugia avant d’être déporté sur l’île de Bréhat. Aujourd’hui, les bâtiments réhabilités permettent de se restaurer dans un cadre bucolique. C’est là que se trouve la chapelle de la Virgen de las Nieves. Construite en 1954, elle ne présente pas un grand intérêt architectural, mais accueille un pèlerinage, le premier dimanche d’août.
Retour sur nos pas en direction du ruisseau. Un parking et une cabane de gardien nous confirment que nous avons bien franchi la frontière et sommes dans la vallée espagnole de Salazar. Nous empruntons la passerelle au‐dessus des eaux pour remonter le cours du rio sur la rive droite, en direction de notre point de départ. Malgré l’ombre des arbres, la chaleur se fait sentir. Mais nous y sommes presque, le léger grondement qui s’amplifie au fur et à mesure de notre avancée en atteste !
Fabrication de mâts et rames

El Cubo et sa cascade apparaissent enfin. L’eau blanche d’écume s’élance joyeusement par-dessus les rochers pour se reposer un ins‐ tant dans des baignoires naturelles et repartir de plus belle vers son destin. Comment résister ? Elle est particulièrement fraîche, et le plaisir n’en est que plus grand. Revigorés, nous reprenons la piste forestière. Deux stations aménagées racontent la fabrication de rames et de mâts de bateau pour les Arsenaux royaux de Barcelone. Avec ses troncs hauts et droits dont certains atteignent jusqu’à 40 mètres, la forêt d’Iraty a fourni les chantiers navals de Cadix, Carthagène et même de La Rochelle. Les plus lourds d’entre eux étaient acheminés par traction animale jusqu’à la rivière. Le bois servait également à la construction d’églises ou de palais, avec un coût élevé, en raison du transport. La fin du trajet est beaucoup moins intéressante, avec une alternance de montées et de descentes jusqu’au cul‐de‐sac de la D18. Ensuite, il ne reste plus qu’à rejoindre en contrebas le chemin de pierre qui ramène au parking de Paxula.