Halte dans le village de La Romieu
Pour les historiens, la Ténarèze est une voie ancienne, utilisée bien avant l'époque romaine, qui permettait de relier la vallée du Lot et le Médoc aux Pyrénées centrales sans franchir de pont ni de gué. Pour les amateurs de spiritueux, la Ténarèze est l'un des trois terroirs de l'armagnac. Pour les autres, c'est un territoire secret qui reste à percer.

À la frontière avec la Lomagne, le village de La Romieu est une bonne porte d'entrée. « Cette sauveté (village fondé autour d'une église) a été fondée au Moyen Âge par deux moines pèlerins de retour de Rome, qu'on appelait les romieus », apprend-on à la collégiale. Celle-ci dresse ses hautes tours au-dessus d'un joli cloître. L'ensemble, entièrement gothique, est d'origine et n'a connu aucune modification depuis le XIVe siècle. Son fondateur, le cardinal Arnaud d'Aux de Lescout, parent du pape Clément V, fit fortifier l'édifice et perça le double escalier à révolution de meurtrières : on était ici en plein territoire anglais. Il faut admirer les énigmatiques peintures murales de la sacristie, dont le plafond est peuplé des anges noirs de la Résurrection.On croirait que le vent agite leurs ailes. .. Au sommet de la tour octogonale, le panorama embrasse les toits patinés du village, la placette à arcades et, tout autour, l'opulente campagne gersoise. Les pèlerins de Compostelle ont bien de la chance de s'arrêter ici, à l'ombre des cornières.

Condom, un parfum d'armagnac…

On les retrouve à Condom, la jolie cité gasconne, sise au bord de la Baïse. Au XIXe siècle, les céréales, les vins et armagnacs voyageaient jusqu'à Bordeaux sur les gabarres. Le commerce sur cette « rivière d'argent », comme on l'appelait, fit la prospérité de la ville. Les négociants en armagnac avaient leurs chais au bord de l'eau afin de charger plus rapidement leurs précieuses cargaisons. Ils ont laissé d'élégants hôtels particuliers en pierre de taille, comme le château Cugnac sur la promenade (rue Jean-Jaurès) aménagée sur les anciennes fortifications médiévales. On sent flotter parfois dans la rue un doux parfum d'armagnac...

L'hôtel de Polignac n'a rien à voir avec « l'eau ardente », mais il faut jeter un œil à sa belle façade blonde, gardée par un portique dorique. Les petits Condomois ont de la chance, ce joyau est à eux, c'est une école primaire ! Ils liront plus tard les aventures du héros local, un certain d'Artagnan, le plus célèbre des cadets de Gascogne. Ils peuvent déjà le voir, statufié devant la cathédrale Saint-Pierre, croisant le fer avec les trois autres mousquetaires.

En mai, on s'encanaille sur cette grande place lors du festival européen de Bandas. Les fanfares enflamment la ville. On entend les cuivres sous les voûtes du cloître et jusqu'au fond du superbe déambulatoire de la cathédrale. Durant trois jours, la bonhomie gasconne bouscule un peu le gothique flamboyant, et personne n'y trouve rien à redire.
Une balade en bateau le long de la rivière Baïse

Depuis le port de Condom, on peut remonter ou descendre la rivière Baïse en bateau sans permis. Glissant sur l'eau verte, on songe au temps où les gabarres étaient halées et où les mariniers, qui n'étaient pas du « pays », étaient craints par les riverains. De temps à autre, un martin-pêcheur jaillit, telle une flèche bleue, ou alors c'est le beau jaune d'un loriot d'Europe. La tortue cistude recolonise l'ancienne « rivière d'argent », qu'Henri IV souhaitait canaliser. L'écluse double de Graziac permet de rattraper un dénivelé de cinq mètres.

Le décor bucolique de saules pleureurs, d'érables et de frênes est parfait pour un pique-nique. Plus en aval, la Baïse rejoint les abords de l'abbaye de Flaran. Venant de l'Escaladieu en 1151, les moines cisterciens s'établirent ici après avoir creusé un canal de dérivation pour réguler le débit de la rivière.

Chose rare, l'abbaye est complète : l'église abbatiale, le cloître et les bâtiments conventuels. .. tout est là ! Il faut déambuler sous le cloître aux beaux chapiteaux imagés, se recueillir dans l'élégante église au style dépouillé typiquement cistercien, promener ses yeux sous les croisées d'ogives du chapitre. ..

Depuis le jardin médiéval, on remarque le joli chevet avec ses quatre absidioles rondes au décor de bandes lombardes. Le trésor de l'abbaye se trouve dans l'ancien dortoir des moines, qui accueille depuis 2004 la collection Simonow. Le collectionneur anglais Michael Simonow a constitué, en quarante ans, une collection d'art rassemblant les plus grands maîtres. Sous les gypseries et dans les alcôves se côtoient un paysage de Courbet, des bronzes de Dali, une marine de Monet, des portraits de Bonnard et de Cézanne, une main de Rodin. Citons aussi Foujita, Zadkine, Krémègne, Vlaminck, Braque, Renoir...Au total, 350 œuvres en roulement permanent. Étourdissant !
La petite Carcassonne du Gers
Le village de Larressingle, la petit Carcassonne du Gers

À 10 kilomètres de Flaran, le village de Larressingle s'enferme dans ses 240 mètres de remparts comme dans une coquille. La « petite Carcassonne du Gers » est l'une des plus petites enceintes fortifiées de France. Elle ne compte que sept habitants et on en fait le tour en moins de 4 minutes. Un bus de touristes suffit à remplir cette Carcassonne de poche ! Le pont de pierre gardé par une tour à mâchicoulis mène au donjon, qui fut la demeure des abbés et évêques de Condom, à l'église et à une poignée de maisons en pierre et pans de bois. Tout est concentré et semble tout droit sortir du XVIe siècle.
Fourcès, l'un des plus beaux villages de France

Après douze minutes de route dans une campagne bosselée, nous rejoignons Fourcès, lui aussi classé parmi les « plus beaux village de France ». Ce castelnau devint bastide, comme on le voit en arrivant sur sa place ronde entourée de cornières et de maisons à colombages. Où qu'on se tourne, tout est charmant : l'enceinte, la tour-porte de l'horloge, les maisons à colombages, le beffroi, le château du XVe siècle au bord de l'Auzoue. ..Le passage des guerres et l'empreinte du temps n'ont pas su démanteler la beauté de ces villages.
La villa gallo-romaine de Séviac

Il faut beaucoup plus de temps pour faire de belles ruines : ce sont celles de la villa gallo-romaine de Séviac, près de Montréal-du-Gers. Nous voici remontés à l'Antiquité tardive. Quelque 600 m² de mosaïques s'étalent au sol, protégées par une ingénieuse toiture blanche et profilée. Découverte par hasard en 1864, cette luxueuse résidence aristocratique du IVe siècle (Bas-Empire romain) avait son plan à péristyle, ses thermes et régnait sur un domaine agricole et viticole d'environ 300 hectares. Le vignoble entoure toujours la villa. Ce n'est pas pour déplaire aux « bandas » de Condom...