D'emblée, le ton est donné. Mon guide, né à Montauban et de vieille généalogie montalbanaise, me donne rendez-vous au cœur de la ville historique, place du Coq… chez Lulu la Nantaise ! Et nous voilà plongés illico dans l'univers des Tontons flingueurs, une sacrée bande qui peut être un fil rouge pour découvrir la « seconde Ville rose ». Si la pléiade d'acteurs réunie par Georges Lautner et Michel Audiard en 1963 pour un film qui allait devenir culte, bien malin celui qui peut dire quelles scènes ont été tournées justement à Montauban !

Il suffit de quelques répliques façon punchline pour que Lino, Bernard, Francis et les autres prennent la nationalité montalbanaise. Aussi, les « Tontons » vous les trouverez un peu partout, façon gloires locales : statufiés au rond-point de la Mandoune ; enrobés de noisettes et de chocolat chez le maître-pâtissier Jérôme Allamigeon ; ou encore chez Archeodeco, une inattendue officine de la place Nationale où s'alignent de superbes figurines des « Tontons ».
La place Nationale, ancienne place Royale

Puisque nous sommes place Nationale, jadis place Royale, restons-y. Aux côtés de la place des Vosges parisienne, de la place Stanislas à Nancy ou de la place d'Albertas à Aix-en-Provence, elle rayonne parmi les chefs-d'œuvre des places de France. Après un an de travaux, elle resplendit. Deux rangées de couverts (galeries) en brique en terre cuite (brique toulousaine ou foraine) entourent la place. L'une des rangées servait de voie publique, la seconde pour les étals des corporations de marchands. Jusqu'aux terribles incendies de 1614 et 1649, maisons et couverts sont en bois. Les architectes Pierre Levesville, Claude Pacot puis Bernard Campmartin reconstruiront en brique ; ce dernier conseillera aux consuls une surélévation de chaque maison d'un étage de galetas à mirandes (ouverture cintrée pratiquée en série en haut d'un édifice sous toiture).

Dans tout le Sud-Ouest et le réseau des bastides, la place revêt des fonctions essentielles. C'est un lieu de rassemblement communautaire autour de la maison consulaire, c'est également là qu'étaient proclamées les règles de la vie municipale, enfin les couverts concentraient les échanges commerciaux. Chaque couvert étant réservé à une activité précise : blé, sabots, fruits, draps. Amusez-vous à débusquer, enchâssé dans un pilier d'arcade, un maître-étalon qui servait d'unité de mesure aux drapiers. Depuis une terrasse des nombreux cafés, prenez le temps de détailler ces façades ouvragées, ponctuées de cadrans solaires, de mascarons, de garde-corps en fer forgé.
Des trésors au fond des cours
Au numéro 17, repérez un long et étroit passage qui s'ouvre sur une cour cernée de galeries à arcades et escalier à vis. Si vous aimez fureter au petit bonheur la chance, entre les places Nationale et Roosevelt, les rues Fraîche, de la Comédie, Bessières, d'Élie, du Pré, des Soubirous-Bas ou de la Résistance, ce sont plus d'une centaine d'hôtels particuliers qui en toute discrétion abritent, derrière d'imposants portails, des jardins, des escaliers d'honneur, des arcades. Au 10, rue Armand-Cambon, l'hôtel Lefranc de Pompignan (Jean-Jacques Lefranc de Pompignan fut magistrat, poète et fondateur de l'académie de Montauban) en est un bel exemple.

Construit au XVIIe siècle, on accède à ce palais par un grand portail en plein cintre dont l'agrafe est décorée d'une tête de guerrier criant. L'entrée est encadrée par des colonnes, traitées en bossage, surmontées d'un entablement orné d'une frise à modillons. L'académicien était le père d'une autre célébrité de la ville, Olympe de Gouges. Femme de lettres et femme politique, pionnière du féminisme, elle est l'autrice de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, en 1791.
L'église Saint-Jacques, victime du canon

Plus loin dans la même rue, le collège de Navarre rappelle que c'est le roi Henri III, avec le soutien d'Henri de Navarre, futur Henri IV et son épouse Marguerite de France, plus connue sous le nom de reine Margot, qui fonda ce haut lieu de la culture protestante. L'académie de théologie attira des étudiants, acquis à la Réforme, de l'Europe entière. À partir de 1629 et de la reddition de la place forte huguenote, les Jésuites prirent possession des lieux. Il subsiste aujourd'hui une vaste cour d'honneur bordée par une remarquable galerie en bois, soutenue par une colonnade. L'église Saint-Jacques (XIIIe siècle), avec son clocher octogonal caractéristique des sanctuaires du pays toulousain et son style gothique méridional, fut transformée en place forte par les protestants lors de la reconquête par les catholiques. Il n'y a qu'à voir l'impact laissé par les boulets de canon de l'armée de Louis XIII sur la façade juste au-dessus du portail.
La cathédrale Notre-Dame-de-l'Assomption, reflet du pouvoir politique et religieux

En redescendant vers les rives du Tarn, faites un détour par la rue Lacaze afin de vous retrouver face au seul monument de la ville qui ne soit pas construit en brique. Il s'agit de la cathédrale Notre-Dame-de-l'Assomption, siège du diocèse, édifiée au point culminant du cœur de ville, à partir de 1692. Sa façade en pierre blanche interpelle. Louis XIV, qui en ordonne la construction, veut symboliquement affirmer sa toute-puissance et sa religion face à une population apostate.

Arrivé au bord du Tarn, le pont Vieux date du Moyen Âge. Il comporte sept arches ogivales et de puissants becs percés d'ouvertures pour lutter contre la puissance des crues. Franchissez-le pour rejoindre la rive gauche de la rivière d'où le panorama sur la ville est superbe. Admirez également les hôtels particuliers des XVIIe et XVIIIe siècles qui alignent leurs façades au bord de l'eau. Ils appartenaient à des négociants protestants, convertis au catholicisme, qui s'enrichirent dans le commerce des draps de cadis, une étoffe de laine cardée très résistante, proche de la serge, qui s'exportait jusqu'aux Amériques.
L'art, un violon d'Ingres Montalbanais

Le bâtiment qui abrite le musée Ingres-Bourdelle s'étire des rives du Tarn coulant en contrebas jusqu'au pied de la ville historique qui se trouve sur les hauteurs. Place forte détruite au XIVe siècle, siège épiscopal au XVIIe siècle puis hôtel de ville après la Révolution, l'édifice ne prendra une fonction muséale qu'à partir de 1820. Ce vaste palais classique, haut de 30 mètres et qui se déploie sur six niveaux, s'offre aux visiteurs dans sa nouvelle livrée suite à trois années de travaux colossaux. Dans une scénographie mêlant avec créativité les œuvres du passé et les nouvelles technologies numériques, dans une muséographie privilégiant les salles thématiques et un cheminement logique, on découvre un millier d'œuvres. L'un des fleurons des collections étant les 4 500 dessins, légués par Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780-1867) à sa ville natale peu avant sa mort, ainsi que son fameux violon (à l'origine de l'expression « avoir un violon d'Ingres ») et le portrait de Caroline Gonse (1852), souvent qualifiée de « Joconde de Montauban ». À noter que la Mona Lisa de Léonard de Vinci trouva refuge au musée durant la Seconde Guerre mondiale, lorsque Jacques Jaujard, patron du Louvre, et Rose Valland, conservatrice au musée et résistante, organisèrent le sauvetage en zone libre des plus grandes œuvres d'art que convoitaient les nazis. Aux côtés d'Ingres se trouve un autre artiste montalbanais qui joua un rôle majeur dans l'histoire de l'art, Antoine Bourdelle (1861-1929).

Élève de Rodin, le « virtuose du mouvement » présente 70 sculptures, invisibles dans son musée parisien, dans une ambiance atelier d'artiste. Enfin, par un escalier sombre aux murs humides, descendez dans les entrailles de l'édifice pour découvrir la salle médiévale du Prince noir. Dans un espace impressionnant, des créations et installations contemporaines (expositions temporaires) risquent de vous surprendre… En sortant du musée, faufilez-vous dans l'impasse des Carmes qui mène au couvent (rebâti au XVIIe siècle) du même nom. À l'arrière du bâtiment, un portail dressé entre deux colonnes s'ouvre sur cloître (6, Grand Rue Sapiac) un insoupçonné jardin de Simples. Au cours de votre flânerie, remarquez les maximes religieuses inscrites sur les murs au temps où les sœurs de Notre-Dame-de-Charité-du-Refuge éduquaient les jeunes filles.
La stade de Sapiac, une arène au coeur de la cité

Il est un dernier « monument » pour lequel vous n'avez quasiment pas le droit de faire l'impasse, ce serait comme qui dirait une faute de goût, voire un authentique manque de respect envers vos hôtes. C'est le stade de Sapiac où officient les joueurs de l'USM depuis 1908, année de création du stade. Au fil des générations, sous le maillot vert et noir, les Pierre Bondouy, Yannick Caballero, Stéphane Munoz ou Jérôme Bosviel ont touché plus d'une fois la « terre promise » (là, juste derrière la ligne blanche). Côté architecture, Sapiac est un cran en dessous du Maracanã, du Millenium Stadium, du Vélodrome ou du Stade de France, certes, mais des générations de joueurs ont forgé la légende de cette pelouse mythique. Pas bégueules pour deux sous, les supporters le surnomment même « la cuvette », en souvenir de mémorables inondations, telle celle de 1996 où l'eau est montée jusqu'aux transversales des poteaux ! Côté ambiance, les Montalbanais font chavirer les cœurs de bonheur. Ici, la ferveur est gratuite, la culture du Sud-Ouest s'y vit sans fard, à vous de vous y mêler ! Et comme dit Tonton Blier : « Il entendra chanter les anges le gugusse de Montauban ! » Au cinéma, vous remarquerez que sous leurs allures de ne pas y toucher, ce sont les comédies qui offrent les meilleurs accents de vérité, qui se révèlent proches de nos vies quotidiennes. Aussi, quand Fernand Naudin, alias Lino Ventura, exaspéré par la conduite de la fille du « Mexicain », lâche désabusé : « On ne devrait jamais quitter Montauban. » On se dit, après tout, que voilà une réflexion aussi tentante que frappée au coin du bon sens…