
Le grès rose et la coquille Saint- Jacques. Deux ressources ont façonné le destin d’Erquy. Devant le petit port de pêche de ce bourg des Côtes-d’Armor, entre Saint- Brieuc et Saint-Malo, le GR34 emprunte une volée d’escaliers pour nous hisser au-dessus d’une baie constellée d’embarcations.

En contrebas, le grand hangar métallique abrite la Criée, troisième ou quatrième de France en tonnage selon les années, avec la coquille Saint-Jacques en vedette entre octobre à avril. Sur notre promontoire de 75 mètres, on tourne le dos à la mer pour remonter le temps. D’anciennes carrières de grès penchent leur front de taille rose et violacé au-dessus des eaux brunes qui emplissent les cavités autrefois exploitées. Au fil des années, des pins maritimes ont glissé leurs racines dans la roche. « Ces carrières ont fonctionné entre 1890 et 1974. Il faut imaginer les goélettes et les sloops qui se succédaient, le long du quai, pour charger les blocs transportés par un réseau de voies avec chariots », explique Quentin Blanchard, notre guide. Après les carrières, le GR34 nous propulse dans la lande qui tapisse le sommet des falaises dominant la mer. Le regard erre sur cette végétation rase malmenée par le vent et les embruns. Ici triomphent le vert des fougères, les éclaboussures jaunes du jonc d’Europe et les grelots violets de la bruyère cendrée. Au creux de ce paysage mélancolique apparaissent l’anse de Port-Blanc et l’abri abandonné du canot de la SNSM (Société nationale de sauvetage en mer). Un chat peint sur la toiture lui donne un semblant de vie. Plus loin, le sentier de sable rose s’approche d’un four à boulets bâti à la fin du xviiie pour incendier les navires ennemis. « Le temps de chauffe et la fumée générée, visible de loin, ont rendu l’ouvrage inutile », explique Quentin.
Rando en montagnes russes

Le cap d’Erquy à proprement parler est une pointe qui mord le bleu opalescent de la mer avec son chapelet de rochers. Après lui, le GR34 fait les montagnes russes, épousant le relief des vallons qui débouchent sur la Manche pour former trois belles plages sauvages. Toutes sont lardées de grès rose plissé en une infinité de couches. Après la plage du Guen, lotie de maisons blanches, la marée basse nous ouvre le chemin de l’îlot Saint-Michel face à l’ancienne carrière de la Fosse Eyrand. Cela fait un moment que l’on voit des silhouettes clopiner sur le cordon rocheux qui mène à ce récif coiffé d’une chapelle.

Certains viennent ramasser des moules, d’autres admirer cet étroit sanctuaire dont les fondations remontent au xiiie siècle quand les moines cisterciens de l’abbaye de Saint-Aubin-des-Bois venaient se recueillir près de leurs pêcheries. Les voiles de kitesurfs annoncent Sables-d’Orles-Pins. Le GR34 contourne un petit estuaire séparant la station balnéaire du cap d’Erquy, mais, à marée basse, on peut marcher sur l’estran et rejoindre le sentier sur la flèche dunaire. Curieux lieu que cette station surgie des dunes et de l’imagination d’un promoteur dans les années 1920 pour concurrencer Deauville et La Baule. Sous les pins, des maisons régionalistes − avec soubassement en pierre, faux pans de bois et toits en ardoise − lui donnent un air désuet. Le sentier longe la plage où filent les chars à voile puis contourne la carrière de Fréhel. « Après sa fermeture en juillet, le tracé du sentier se rapprochera de la mer », dit Aurélien Guibert, animateur nature au sein du Grand Site de France cap d’Erquy - cap Fréhel, qui nous a rejoints.
Cap Fréhel en pointe

Avant la pointe aux Chèvres, le sentier retrouve une vue mer et le phare du cap Fréhel apparaît. Bientôt, le chemin se fond dans la lande, « un milieu transformé par l’homme et ses activités agricoles. C’est aujourd’hui le gisement d’une biodiversité spécifique avec un cortège d’oiseaux comprenant les engoulevents d’Europe ou la fauvette pitchou », dit l’expert. La position stratégique du cap Fréhel pendant la Seconde Guerre mondiale amena les troupes allemandes à y installer des défenses militaires. Une imposante fosse empierrée surplombant la plage des Loges reste encore bien visible. « C’étaient des baraques semi-enterrées pour les soldats stationnés près d’une grande station radar située sur le cap. Ce site a toujours été une vigie. Au XVIIe siècle, les armateurs malouins avaient fait installer un fanal à son extrémité. » Bientôt nos pas nous mènent vers une tour cylindrique doublée d’une tourelle : « La tour Vauban, le premier équipement véritablement technique qui remonte à 1702, à l’époque où l’on fortifie Saint-Malo », précise notre guide. Le phare qui fonctionne aujourd’hui est une haute tour en granit crénelée, de style médiéval. Il porte la patte d’Yves Hémar, l’un des architectes de Sables-d’Or-les-Pins, appelé après-guerre pour édifier un nouveau feu après le dynamitage par les Allemands du précédant phare. Une autre élévation lui fait presque concurrence, captant l’attention des visiteurs.

Vaste perchoir
Tout près, sur la côte est, la Grande Fauconnière est un piton rocheux blanchi par les fientes des oiseaux qui tournoient et bruissent avant de s’y poser. « Ce site et les hautes falaises environnantes accueillent huit espèces venues nidifier entre février et juillet, explique Aurélien. Les plus remarquables sont les guillemots de Troïl et le pingouin torda dont c’est la zone de reproduction la plus méridionale. » Début juillet, on cherche en vain la silhouette sombre et le bec orné d’une ligne blanche du petit pingouin. Le spectacle de cet immense perchoir couvert de centaines d’oiseaux reste toutefois fascinant.
Au loin, en arrière-plan, le fort La Latte trône sur la mer. En moins d’une heure, nous sommes devant le pont-levis du château cramponné à la pierre, accueillis par Guénolé Joüon des Longrais.

« Avec son acquisition en 1931, mon grand-père a réalisé un rêve », explique le quinquagénaire. Le château médiéval est rehaussé sur les ordres de Vauban à la fin du XVIIe pour devenir un fort de défense côtière pour le grand port de commerce et de course qu’est Saint-Malo. Double pont-levis, batterie en fer à cheval, chemin de ronde... Tout le système défensif est là. Loin du monde, la mère de Guénolé vit sous les hauts plafonds du logis. « Habite-t-elle le château ou est-ce le château qui l’habite ? », sourit son fils avant de nous saluer et de refermer la porte sur cette randonnée à l’accent historique.
