Petit matin sur le promontoire de Saint-Nazaire. La brume ensevelit la vallée de la Dordogne sous un manteau de coton blanc. Soudain, elle se dissipe, dévoilant un paysage de fjord norvégien. Nous sommes à la quatrième étape de l’Itinérêve, un sentier de grande randonnée imaginé par Jean-Marc Chirier, le pétulant directeur de l’association La Dordogne de villages en barrages. « Je cherchais un moyen de redonner un peu de vie et de visibilité à cette partie très peu connue de la vallée de la Dordogne », explique-t-il. Un sentier entre Bort-les-Orgues et Argentat est vite créé, puis agrandi. On part désormais de Confolent- Port-Dieu. Et depuis 2023, l’Itinérêve couvre aussi la rive gauche. Comptez quinze jours de marche pour chaque rive !
Le temps nous manquant pour accomplir la totalité du parcours, chaussons des bottes de sept lieues pour en découvrir les plus beaux points. Seulement sept kilomètres après Confolent, la chapelle des Manants est tout ce qu’il reste du village de Port-Dieu, qui gît sous l’eau, à deux pas de là. « Après la Seconde Guerre mondiale, cinq barrages hydroélectriques ont été construits sur 80 kilomètres. Une vingtaine de villages ont été engloutis, comme Port-Dieu en 1951 », rappelle Jean-Marc Chirier. Plus loin, le beau château de Val, autrefois juché sur un piton rocheux, se reflète désormais dans l’eau. Ses tours poivrières, ses mâchicoulis et ses archères ont servi de décor au Capitan, de André Hunebelle (1960), avec Jean Marais.
Au pays des gabariers, entre points de vue et gorges

En aval, le barrage de Bort-les-Orgues, l’un des plus grands de France avec sa retenue de près de 500 millions de mètres cubes, se dresse comme un monstre de béton avec sa rampe en forme de saut à ski. Le sentier passe sous les célèbres orgues phonolitiques de Bort-les-Orgues, balcon sur les monts d’Auvergne (puy de Sancy, puy Griou, puy Mary). « Venez voir plutôt la tour de Roussillon, un autre point de vue qu’on a découvert il y a trois mois ! », s’empresse notre guide. De cette terrasse rocheuse couverte de bruyère, la vallée inondée de la Dordogne s’étire sans fin. Au loin, le château de Val et le sourire du barrage de Bort-les-Orgues, et même le puy de Dôme.


On chemine ainsi de villages en belvédères, après de longs passages en forêt. On admire de jolies petites églises romanes à Roche-le-Peyroux, Liginiac,Sérandon. Et quand on a assez marché, un promontoire tombe comme par enchantement pour nous réserver un point de vue d’exception. Il ne faut pas manquer le belvédère des Gregeolles, où la Diège rejoint la Dordogne dans un paysage de gorges rocheuses. Juste en face, se trouve le Site de Saint- Nazaire. La brume n’y est plus qu’un souvenir... Au belvédère de Gratte-Bruyère, les aiguilles rocheuses coiffées de bruyère dominent la Dordogne. « Ici, côté Cantal, on embarquait les fromages auvergnats et le bois jusqu’à Spontour, le dernier port gabarier encore visible », remarque Jean-Marc Chirier. Dans le ciel, planent souvent milans royaux, circaètes Jean-le-Blanc, faucons pèlerins ou, plus rarement, des aigles bottés.

Un parcours en évolution constante

En aval de Spontour, des ruines au bord de l’eau évoquent l’abbaye cistercienne de Valette, fondée au XIIe siècle par les moines d’Aubazine, et noyée après la mise en eau du barrage du Chastang.

« Je vous emmène sur le tout nouveau site de notre parcours », annonce notre guide. La voiture nous épargne bien des raidillons en forêt. Soudain, il est là : fraîchement restauré, le viaduc des Rochers noirs franchit les gorges de la Luzège. Sa passerelle fut inaugurée en son temps par Raymond Poincaré. « L’inclure à notre sentier rallonge de 11 kilomètres et de plus de 500 mètres de dénivelé, mais ce sera une portion emblématique du parcours ! Pour le rejoindre, on emprunte un chemin utilisé autrefois par les gens du plateau d’en face. » Jean-Marc Chirier s’y entend comme personne pour tracer ces nouvelles voies en sous-bois, dans des pentes qui feraient hésiter des traileurs. Un GPS dans une main, le dictaphone dans l’autre, il avance au feeling ou en suivant les traces de bêtes. « Quand je le peux, je retrouve des chemins oubliés depuis un siècle grâce aux cadastres communaux ou à la carte de Cassini. Il s’interrompt pour fouiller du regard une pente prise dans les ronces. Là, je vois que ça passe bien. On mettra des piquets et on remblaiera un peu. » Et hop ! un bout d’Itinérêve vient de voir le jour.
Ici et là, du petit patrimoine sort le randonneur de sa rêverie. À Laval-sur- Luzège, un enclos paroissial et de beaux toits de lauze. Au hameau de Gramont, des courrijoux (sentiers étroits) serpentent entre tours carrées, fontaines et fours à pain. On retrouve la Dordogne au roc de Busatier, nid d’aigle dominant le passage le plus redouté de la rivière, un rapide tortueux de cinq kilomètres de long. Assurément l’une des plus belles vues du parcours.

Un jardin témoin du passé

En forêt, le chemin dégringole un coteau boisé, passe devant des séchoirs à châtaignes et des restes de canaux d’irrigation jusqu’au jardin de Bardot. Sur cet ensemble de terrasses, un couple cultiva vers 1900 des fruits et des légumes précoces non encore consommés en France. « À l’aube du XXe siècle, toutes les gorges que nous voyons depuis le début étaient terrassées. On y cultivait la vigne, l’avoine, le blé noir. Les forêts n’existaient pas », ajoute Jean-Marc Chirier. On quitte ici le chemin qui continue jusqu’à Argentat-sur- Dordogne, veillé de près par son infatigable promoteur.
L’Itinérêve : 420 kilomètres de randonnée itinérante
Ce parcours de 430 kilomètres emprunte les deux rives de la Dordogne, de Confolent-Port- Dieu à Argentat-sur- Dordogne. Il est balisé, entretenu et équipé ici et là de refuges pour randonneurs par une association de passionnés, « La Dordogne de villages en barrages ». Sur la rive droite, compter 15 jours en famille (10 jours pour un bon marcheur) pour parcourir les 200 kilomètres, avec un dénivelé de 7 000 mètres. Sur la rive gauche, compter à peu près la même durée pour une distance de 230 kilomètres et 10 000 mètres de dénivelé. On chemine plus au bord de l’eau sur la rive gauche. Saison idéale : le printemps (genêts en fleurs et paysage vert tendre) et l’automne (forêts mordorées). Niveau : relevé. De nombreuses boucles de 1 à 7 jours permettent de passer d’une rive à l’autre.