
Entre Bourg-Murat et le Pas de Belle- combe, le marcheur emprunte le tracé des anciens, celui des explorateurs, des marrons, des téméraires guides du volcan, qui ont marqué le territoire de leurs noms, de leurs savoirs et de leurs récits. Nous voilà partis pour deux jours en compagnie de guides d’exception, Thierry Chambry et Matthieu Balanger. Situé sur le plateau de La Plaine des Cafres, le petit bourg du 27e km s’est développé au fil du temps comme porte d’entrée du haut volcan. Le cœur du village abrite d’authentiques maisons créoles en bois, habitées et entretenues. Le mois de juin signe l’hiver austral. Les panaches de fumée s’échappant des cheminées des toitures rappellent qu’à 1 600 mètres d’altitude, même sur une île tropicale, le froid et le givre font leur apparition: La Fournaise a plus tué par le froid que par le feu! La sortie de Bourg, avant d’arriver au sentier de randonnée, emprunte le champ de foire, qui servait des années 1960 à 1980 de point de rassemblement au bétail (marquages, comptages pour la gestion des élevages pastoraux).

Un décor empreint d'histoire

Le sentier commence en chenal, entre deux parcelles. L’itinéraire traverse de nombreuses formations végétales, la plus remarquable étant cette forêt de cèdres du Japon qui marque l’entrée sur les anciennes réserves et les forêts domaniales. Passé ce premier dénivelé, apparaît un large plateau dominé par le Nez de Bœuf. La toponymie des lieux marque une époque contemporaine, avant que les guides et les éleveurs pastoraux ne se les approprient. Les noms étaient à l’origine des titres commémoratifs, puis les nouveaux usagers réguliers les ont identifiés de manière plus imagée: ils sont le reflet d’une histoire, d’une époque, d’une anecdote. L’ambiance forestière laisse place aux landes altimontaines, les fourrés à brandes, une variété de bruyère. Le sol épais se raréfie, s’assèche dès le Piton Textor (nommé ainsi en hommage au lieutenant Textor de Ravisi qui a établi la cartographie des lieux); c’est par une sente de traverse qu’arrivaient les premiers explorateurs, depuis la commune de La Plaine-des-Palmistes. Là, le parcours des guides volcan reprend celui des explorateurs. Avant 1851, ces expéditions s’organisaient depuis Saint-Benoît et La Plaine-des-Palmistes. Il fallait environ vingt jours, à se frayer un passage dans les forêts encore denses, pour arriver à ce que l’on nomme aujourd’hui le Pas de Bellecombe (site historique et seule entrée sécurisée de la caldeira volcanique). À mi-parcours, Matthieu nous relate l’histoire de ses prédécesseurs: « Ils devaient porter la nourriture, l’eau et les vêtements, et quelquefois même transporter les bourgeois sur des chaises à porteurs. Rares étaient les ayants droit qui prenaient le temps de s’enrichir des multiples connaissances historiques, botaniques de ces éclaireurs. » En plus d’être féru d’Histoire, Thierry est passionné par la flore, quant à Matthieu, il est incollable en géologie. Avec eux, on apprend en marchant ! Sur l’air mélancolique de Pic-nic chemin volcan, de Ousanousava, formation musicale de grande renommée sur l’île, nous continuons notre ascension jusqu’à la caverne des Lataniers (caverne à Mauzac sur les cartes IGN).
Dans la caverne des secrets
Ce lieu aurait été le refuge d’un chef rebelle, esclave en fuite du nom de Manzaka. Maîtrisant la technique du feu, il aurait signalé l’arrivée des chasseurs d’esclaves à ses compatriotes. Des recherches archéologiques menées en 2018 ont révélé le passage de nombreux autres usagers du passé. Un muret de pierre renferme la partie ouverte de la cavité que l’on devine à peine derrière la végétation. Le plafond de la caverne d’environ 10 m2 est très bas, et son sol humide est en terre damée. Comme les anciens, nous en faisons notre lieu de bivouac. Après une nuit froide et venteuse, malgré nos très appréciables matelas, il n'est pas facile de quitter la chaleur du duvet pour affronter le petit matin glacial. En remontant la dernière pente, sur une piste nouvellement pavée, nous découvrons sur le sol des Pipkrakes, ces aiguilles de glace générées par la circulation du vent dans le sol poreux par temps de gel. On imagine la stupeur des premiers explorateurs au moment de la découverte du paysage: la plaine des Sables est large, sablonneuse, nuancée de rouge et à l’aspect désertique. Comme si La Réunion avait su décrocher un petit morceau de Mars. Alignés et figés telles trois sentinelles, les Pitons Chisny et Haüy escortent leur aîné, le Demi-Piton. Trois kilomètres nous séparent encore de l’Enclos Fouquée, la caldeira de la Fournaise. La traversée de cette étendue désertique surprend une végétation de jeunes pousses colonisant le sol volcanique. Nous entamons l’ascension des trois anciens volcans, en prenant garde à la flore plus abondante qui tapisse leurs flancs. Rouge, gris, vert et jaune se mélangent au bleu du ciel, nuancé de nuages. Depuis ces sommets s’expose une palette de couleurs saturées presque irréelle. La splendide plaine des Sables mérite à elle seule une journée d’exploration.

À l'approche du cratère

Pour rejoindre le Pas de Bellecombe, nous quittons le GR R2®, en direction du gîte du Volcan, par une piste récente. Jadis, il fallait passer par le gîte des Porteurs, vieille bâtisse faite de mur de pierres, de tôle et de rajouts divers. C’est sous cet espace arboré, à l’abri des éléments et à proximité de vasques d’eau, que les premiers explorateurs auraient pu établir leur campement avant le franchissement du Pas, à quelque 600 mètres de là. L’accès à l’Enclos ne s’effectue que par ce lieu. Un petit col creusé dans le basalte qui s’ouvre sur un flanc de falaise, rocailleux.Pour terminer cette épopée des guides et des explorateurs, une incursion dans la caldeira s’impose. Le Formica Léo, petit cône strombolien marquant le relief plat du bas de l’enclos, n’est qu’à une trentaine de minutes.


Le sentier plonge dans le rempart pour une centaine de mètres de dénivelé avant d’atteindre un replat de denses dalles volcaniques fissurées. La lave solidifiée, ici épaisse, s’est figée, laissant apparaître des sortes de bourrelets. Cette forme « cordée » est à l’origine du nom de ce type de lave. Depuis la chapelle Rosemont, remarquable formation rocheuse, le circuit grimpe jusqu’à la lèvre du Dolomieu, cratère principal de la Fournaise (2 632 mètres) avec 1 000 mètres de long pour 700 de large.

Nous n’irons pas plus loin cette fois-ci : nous rentrons au gîte pour y passer la nuit avant de revenir sur nos pas, jusqu’au village de Bourg-Murat.

Vocation : guide
La vie des habitants de La Plaine des Cafres reste très rythmée par les éruptions sommitales. Outre les métiers dits nobles et le travail agricole, quelques téméraires ont développé une vocation, celle de guide porteur. Certains des sentiers actuels sont tracés par les pas de ces pionniers, mal vêtus et chaussés de « Goni » (sac de jute). Le métier de guide était autrefois deux fois mieux payé qu’un ouvrier agricole, c’est-à-dire... deux fois pas grand-chose (10 à 20 francs CFA). Ces « zarboutans », du français « arc-boutant », dont certains résident toujours dans le petit bourg, sont des mémoires vivantes d’un passé, somme tout récent, mais qui n’a guère eu l’heur de témoignages écrits.