Le golfe de Porto : le joyau rouge de la Corse
Au sud, le chaos dantesque des roches de Piana et les crêtes vertigineuses du Capo Rosso... Au nord, la réserve naturelle de Scandola, refuge de la biodiversité sous-marine et terrestre au cœur d’un époustouflant décor de falaises. Le golfe de Porto abrite décidément les trésors les plus éblouissants de l’île de beauté.
Mer 5. Le bateau semi-rigide de la réserve naturelle de Scandola affronte des creux de près de trois mètres à l’approche du sanctuaire marin et terrestre au nord du golfe de Porto, sur la côte occidentale. « La tramontane est la meilleure des protections », nous crie dans le vent Jean-Marie Dominici, le conservateur de la réserve alors qu’il manœuvre entre les vagues. Jean-Marie est un homme en colère. Depuis trente-cinq ans, il œuvre à la protection de cette façade maritime de près de 2 000 hectares du parc naturel régional de Corse.
Il n'y a pas que la côte qui est belle en Corse, il y a aussi la montagne !
La météo est venue aujourd’hui donner un coup de main à l’ange gardien de Scandola, décourageant certains bateliers qui, au cœur de l’été, peuvent transporter près de 1500 visiteurs par jour, le long de cette côte grandiose. Ils appareillent de Porto bien sûr, mais aussi de Galéria et de Calvi, au nord, et d’Ajaccio, au sud, pour donner à voir cette curiosité géologique classée au patrimoine mondial de l’Unesco. « Il faut limiter le nombre de bateaux et imposer des distances à l’égard de certaines espèces », plaide le conservateur de la réserve.
Scandola, un volcan dans la mer
L’entrée de notre embarcation dans le golfe de Solana, le long de la presqu’île de Scandola, nous met à l’abri du vent. C’est le moment, enfin, de contempler au calme l’objet de tant d’affection. Falaises vertigineuses et promontoires déchiquetés qui plongent dans la mer, grottes, pinacles et autres formes étranges où la roche moutonne, plisse, semble avoir été coupée au couteau. Et un incendie de rouges qui magnifient le relief. « Scandola est la partie émergée d’un complexe volcanique formé il y a plus de 250 millions d’années et partiellement effondré en mer », explique Jean-Marie Dominici. Une grande diversité de roches volcaniques et d’étranges formations liées aux éruptions caractérisent le site. Parmi elles, les orgues de rhyolite horizontaux, rares, qui évoquent une volée de marches taillées dans la falaise à Punta Palazzu.
Nous sommes chanceux : un balbuzard pêcheur, reconnaissable à ses ailes coudées, pique dans l’eau sous nos yeux. Jean-Marie désigne son nid, grossier amas de branchages perché au sommet d’un piton, à l’abri des prédateurs. Avec 34 couples, la Corse abrite l’une des rares populations reproductrices de balbuzards pêcheurs de Méditerranée. En quelques dizaines d’années, le parc naturel régional a réussi à sédentariser et favoriser le développement de cette espèce en installant des leurres autour de nids artificiels pour qu’ils soient adoptés. Depuis, de jeunes balbuzards pêcheurs nés en Corse ont pu être réintroduits en Toscane et en Sardaigne. Oiseau vedette de Scandola, ce spectaculaire rapace, terrestre mais pêcheur, est toutefois lui aussi impacté par le dérangement.« Nous observons une quinzaine de poussins à l’envol contre une soixantaine, il y a dix ans », confie le naturaliste. Depuis 2015, il est question d’installer un système de vidéosurveillance du parc pour lutter contre le braconnage et le non-respect de la réglementation. Financé par la Fondation Albert II de Monaco, le projet est bloqué pour des questions administratives. Mais même avec ce système, le parc continuera ses patrouilles de jour comme de nuit. À Scandola, Jean-Marie Dominici sait qu’il veille sur un trésor : corail rouge, grandes nacres, mérous, corbs et autres dentis, sous l’eau, mais aussi une vingtaine d’espèces endémiques à terre (où il est interdit de débarquer) et toute une guilde d’oiseaux, faucons pèlerins, faucons crécerelles... autour des balbuzards pêcheurs. La plongée sous-marine y est interdite, mais les spots environnants sont parmi les plus beaux de Corse...
Robinssonade en canoë autour de Porto
En 1983, l’Unesco a aussi classé au patrimoine mondial de l’humanité le golfe de Girolata et les calanche de Piana situées dans le vaste golfe de Porto. Au nord, Girolata est ce hameau de maisons au bord de l’eau, seulement accessible par la mer ou par un sentier. Une dizaine de personnes y vivent à l’année tandis que plusieurs centaines de visiteurs y font halte pour déjeuner en été, déposés par les bateaux de tourisme qui sillonnent le golfe.
Un fortin génois ocre signale l’emplacement de Girolata aux marins. Autour, un amphithéâtre de nature sauvage dissimule sur les hauteurs une route en balcon. La grandeur des panoramas sur la baie étourdit les voyageurs qui l’empruntent jusqu’à Porto, marine touristique lovée au fond du golfe éponyme et principal point de départ des excursions en mer.
Nous avons opté pour une promenade en canoë, avec l’envie d’un cabotage au plus près des sculpturales formations rocheuses autour de Porto. À la sortie du port, cap au nord. Notre embarcation longe le promontoire rocheux où se dresse la tour génoise de Porto. Notre imagination vagabonde au XVIe siècle, quand des assaillants venus de la mer approchaient ces tours de défense hérissées sur tout le littoral corse. La côte n’est ensuite qu’une succession de falaises entaillées çà et là de grottes et de criques. La rhyolite rouge de Scandola a cédé la place à un granite alcalin rose.
Nous poussons notre canoë à l’intérieur d’une faille étroite, dont la voûte veinée de roche sombre évoque une nef d’église. Les voix résonnent dans cette anfractuosité longue de quelques dizaines de mètres, aux parois lisses et humides. Au fond, dans l’obscurité la plus totale, le couloir s’élargit et autorise un demi-tour. De retour à l’air libre, nous nous faufilons entre les rochers à fleur d’eau tachetés d’arapèdes avant d’atteindre des criques désertes tapissées de galets multicolores. Puis c’est la plage de Bussaglia. Le charme s’évanouit un peu : elle est accessible en voiture. Nous retournons vers Porto. Les rameurs aguerris et sportifs pourront manœuvrer leur embarcation, pendant plusieurs heures, jusqu’aux calanche de Piana, au sud, mais la route et les sentiers offrent une meilleure approche de ce site...
"Roadtrip" dans le paysage fantasmagorique des calanches
« C’étaient des pics, des colonnes, des clochetons, des figures surprenantes modelées par le temps, le vent rongeur et la brume de mer. Hauts jusqu’à 300 mètres, minces, ronds, tordus, crochus, difformes, imprévus, fantastiques, ces surprenants rochers semblaient des arbres, des plantes, des bêtes, des monuments, des hommes, des moines en robe, des diables cornus, des oiseaux démesurés, tout un peuple monstrueux, une ménagerie de cauchemar pétrifiée par le vouloir de quelque Dieu extravagant. » Dans le sillage de Maupassant qui s’émerveille devant les calanche de Piana dans Une vie, en 1883, de nombreux voyageurs parcourent la route D81 à l’affût des formes étranges de ce paysage de pierre surplombant la mer. Une brochure éditée par l’office du tourisme référence même ces sculptures naturelles tandis que la mise en place d’une circulation alternée en haute saison favorise la musarderie.
Bercé par des légendes de pétrifications et de colères diaboliques, on peut admirer cette étonnante œuvre de la nature depuis la route en corniche ou par des sentiers buissonniers qui se perdent entre maquis, pins et rochers. Passé l’anse de Ficajola, seule et somptueuse crique accessible en voiture, nous avons rejoint le Capo Rosso qui ferme les calanche et le golfe de Porto au sud. Un sentier divague à travers le maquis odorant et quelques vestiges de bergeries avant de buter sur la roche rousse et le sommet de falaises vertigineuses qui fondent dans la mer. Des îlots et quelques bateaux donnent l’échelle. La balade se poursuit parmi les pierres et les cairns. Enfin, un passage en chicane hisse le marcheur jusqu’à la tour génoise de Turghiu, ronde et massive. Juchée sur un promontoire de 331 mètres, elle demeure l’une des tours de défense les plus élevées du littoral corse et la vigie du plus beau golfe de l’Île.