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Cette montagne bretonne est surnommée « porte de l'enfer »

À 385 m d’altitude, au-dessus de steppes énigmatiques et de marais inhospitaliers, se dresse le Roc’h Trevezel, deuxième plus haut sommet de la partie bretonne du Massif armoricain. Sa vue à 360° déploie un panorama spectaculaire sur le pays de Léon. À 385 m d’altitude, au-dessus de steppes énigmatiques et de marais inhospitaliers, se dresse le Roc’h Trevezel, deuxième plus haut sommet de la partie bretonne du Massif armoricain. Sa vue à 360° déploie un panorama spectaculaire sur le pays de Léon. - © Hervé Ronné / Détours en France

Publié le par Dominique Roger

Situés aux confins des anciens évêchés de Léon et de Cornouaille, les monts d’Arrée ressemblent à une toundra hirsute où la lande rase étrillée par les vents, les monts hérissés de crêtes dilacérés et les tourbières piégeuses composent un paysage dantesque. Leurs secrets y sont farouchement gardés par l’Ankou, les lavandières de la nuit et une bande de korrigans espiègles.

Les hauteurs des monts d’Arrée sont depuis toujours l’itinéraire naturel pour qui voyage à pied entre la Bretagne intérieure et la pointe du Finistère. Une voie immémoriale et tombée dans l’oubli : les légionnaires romains y firent claquer leurs sandales, et les bures des moines celtes se griffèrent à ces mêmes ajoncs. Leur succédèrent les colporteurs, qui venaient s’approvisionner à Brest auprès de vaisseaux emplis de richesses exotiques, et les ouvriers agricoles qui louèrent leurs bras aux riches fermes de Plougastel. Il y eut aussi les vagabonds, les mercenaires et, d’après les légendes armoricaines, la charrette de l’Ankou ou les lavandières de la nuit, toujours prêtes à vous expédier en enfer. Car en contrebas de la crête des monts d’Arrée se trouve une zone marécageuse appelée « Yeun Elez », l’une des portes de l’enfer. 

Un druide comme conteur

Brasparts, bourg d’un millier d’âmes. Après le « miz Du » (mois noir), l’hiver se fait moins dur. Il y a quelques années, je rencontrais un personnage important de la culture bretonne, Gwenc’hlan Le Scouëzec (1929-2008), au siège des éditions Beltan, aujourd’hui disparues. Écrivain de la celtitude, grand druide dirigeant le Gorsedd de Bretagne, ce qu’il racontait sur les monts d’Arrée m’intriguait. Aussi, je m’étais aventuré à lui demander de me mener jusqu’au cercle des Douze Pierres, dont j’avais lu le récit mais dont aucune carte d’état-major mentionnait l’existence... Avant de se mettre en route, mon guide m’avait mis en garde : « Sellit (regardez), mais vous vous apercevrez que même les yeux les plus perçants ne peuvent pas tout voir... » Des années passèrent et ma quête d’éclaircissement de ce monde mystérieux demeurait insatisfaite. Donc, je me décidais à réaliser à pied une traversée de cette ensorcelante montagne bretonne. L’Ankou, le « grand faucheur », les lavandières de la nuit ou le « ki du ar yun » (chien noir du yeun) me laisseraient-ils marcher en paix ?

La Mort chez les Bretons d’Armorique

À la fin du XIXe siècle, Anatole Le Braz (1859- 1926), professeur de lettres au lycée de Quimper, se passionna pour les traditions armoricaines et recueillit une multitude de témoignages et de récits. Le saisissant corpus qui se trouva ainsi réuni fut édité sous le titre La Légende de la Mort chez les Bretons armoricains, ouvrage maintes fois réédité. Par la suite, l’enseignant fut chargé, par le ministère de l’Instruction publique, d’une enquête sur les saints bretons. Les œuvres d’Anatole Le Braz sont aujourd’hui réunies sous le titre Magies de la Bretagne, dans la collection Bouquins de Robert Laffont, (2 615 p. en 2 volumes).

Aux « portes de l’enfer »

Départ depuis l’église abbatiale du monastère cistercien du Relecq. D’abord, scruter le ciel, se tailler un « penn-baz » (bâton de marche) de fortune et commencer l’ascension des 358 mètres des roches du Relecq. La montagne livre son visage, une crête déchiquetée qui étire ses arêtes vives des chiste et degrès, telle l’échine peu amène d’un monstre antédiluvien. Première halte au Roc’h ar Feunteun. À mes pieds, les herbes jaunes gorgées d’eau, curieuse « liqueur brune venue du monde d’en bas », de ces tourbières qui, raconte-t-on, ne possèdent pas de fond. Subitement éclairées d’un rai de lumière blanche, les eaux bleu pastel du réservoir de Saint-Michel. C’est là que palpite le cœur du Yeun Elez et que s’ouvre ce que le folkloriste Anatole Le Braz nomme le Youdig, l’une des portes de l’enfer chez les Celtes. Les anciens ont conservé en mémoire la redoutable menace proférée à l’égard des garnements : « Ma chomit ket fur/Evoc’hkasetd’arYoudig!»(Sivous n’êtes pas sages, c’est au Youdig que nous vous mènerons !).

Tour sur l’épine dorsale de Roc’h Trevezel

Le Tro Menez Are, journée de randonnées pédestres et équestres ayant lieu chaque année en mai, est l’occasion idéale pour découvrir hors des sentiers battus la richesse des paysages et du patrimoine des monts d’Arrée. Chapelles et enclos paroissiaux se fondent dans un décor de landes où ajoncs, genêts et bruyères s’entremêlent harmonieusement à perte de vue
Le Tro Menez Are, journée de randonnées pédestres et équestres ayant lieu chaque année en mai, est l’occasion idéale pour découvrir hors des sentiers battus la richesse des paysages et du patrimoine des monts d’Arrée. Chapelles et enclos paroissiaux se fondent dans un décor de landes où ajoncs, genêts et bruyères s’entremêlent harmonieusement à perte de vue. © Hervé Ronné / Détours en France

Du Yeun, la rivière de l’Ellez s’échappe par une percée, à travers le chaos de Rusquec et la vallée de Saint-Herbot. À midi, un timide soleil déchire le ciel comme pour offrir au Roc’h Trédudon (sur la commune de La Feuillée, à 385 m d’altitude) un visage hospitalier. Dans la foulée, c’est l’épine dorsale de Roc’h Trevezel, le second point culminant de la partie bretonne du Massif armoricain, que j’escalade. Avec ses allures de bête préhistorique, ce sommet à la noire denture schisteuse est une table d’orientation naturelle fabuleuse : au nord, le plateau agricole et bocager du Léon ; plein ouest, la rade de Brest : côté sud, la montagne Saint-Michel chapeautée de sa chapelle ; à l’est, la baie de Morlaix. Le soir pointant, c’est entre chien et loup que j’amorce, sur un chemin pierreux bordé de genêts, une descente vers la civilisation. Droit devant, une silhouette s’avance vers moi. Première rencontre de la journée. Sa démarche, sa dégaine me font penser à ces « pilhaouerien » (sorte de chiffonniers) qui sillonnaient jadis la contrée. Contact établi, il s’agit d’un pèlerin effectuant le Tro Breiz, ce périple autour des sept évêchés bretons. Il me parle de la présence de « ronds de fées »... Je presse le pas. L’arrivée chez mes hôtes à Commana est une délivrance pour les pieds et la garantie de ne pas affronter les esprits de la nuit. 

L’appel funeste des « lavandières de la nuit »

Se remettre en route dès potron-jacquet. Les lueurs du soleil levant sur les rondeurs gréseuses du Tuchenn Gador (384 m) donnent l’élan pour rejoindre la rivière. C’est à cet endroit, dit-on, que les redoutées « lavandières de la nuit » attendent l’infortuné de passage. Ces « maouezed-noz » (femmes de nuit ») attendaient le coucher du soleil pour sortir du Yeun Elez et s’en aller lessiver les suaires des défunts aux lavoirs des vivants. Gare au mortel qui se trouvait sur leur chemin ! Qu’une de ces Dames blanches lui demande de l’aide pour essorer ses linceuls, et c’est son âme qui était expédiée au fond du Yeun. Inutile de traîner dans les parages... Le Menez- Mikel (381 m) est devant moi et son ascension par le « go hent » (vieux chemin) est rude jusqu’à la chapelle Saint-Michel (XVIIe-XIXe siècle).Un terrible incendie a ravagé le site l’été dernier. Si les 2 000 hectares de nature dévastée commencent à reverdir, la chapelle rurale, située sur un site symbolique, devenu avec le temps presque mystique, a nécessité une importante restauration. Après plusieurs mois de travaux, elle vient juste de rouvrir au public. Au loin, la vue plonge sur le lac de Brennilis, tache grisâtre, miné tout autour de fondrières.

Le lac artificiel de Brennilis, ou réservoir de Saint-Michel, créé au xxe siècle au cœur des tourbières du Yeun Elez, terre de légendes où sont envoyés les esprits malins. Au sommet du mont, la chapelle Saint-Michel de Brasparts (xviie-xixe) surplombe cet étrange paysage du haut de ses 381 m d’altitude.
Le lac artificiel de Brennilis, ou réservoir de Saint-Michel, créé au xxe siècle au cœur des tourbières du Yeun Elez, terre de légendes où sont envoyés les esprits malins. Au sommet du mont, la chapelle Saint-Michel de Brasparts (XVIIe-XIXe) surplombe cet étrange paysage du haut de ses 381 m d’altitude. © Hervé Ronné / Détours en France

Sur 450 hectares, ce grand lac intérieur, que la légende décrit comme le royaume de l’Ankou, arbore de nos jours un aspect hospitalier avec son centre nautique, à Nestavel-Bihan, et ses activités piscicoles. Kernévez, Kerbérou (l’ancienne commanderie templière), La Feuillée, Trédudon-le-Moine (premier village résistant de France lors de la Seconde Guerre mondiale) et le GR37 me ramènent à mon point de départ, Le Relecq. S’aventurer dans les monts d’Arrée n’a rien de périlleux et le randonneur n’y fera pas plus de mauvaises rencontres qu’ailleurs. Mais ces paysages sont « habités » et si vous leur prêtez une attention toute particulière, alors vous commencerez à voir au-delà des apparences. Et avec un peu d’imagination...

Un folklore au bestiaire redoutable

Au musée des Beaux-Arts de Quimper, Les Lavandières de la nuit (ci-contre)de Yan’ Dargent (1824-1899), décrit à merveille ces femmes de malheur. Voyez aussi les arbres qui eux-mêmes se transforment en êtres malfaisants, tandis qu’au loin la lune se lève, insensible au malheur des hommes. On pourrait penser cette toile peinte d’après les imprécations d’une victime de delirium tremens. Mais combien de paysans n’ont-ils pas justifié leur retour tardif d’une foire par une rencontre avec l’Ankou, un chien noir ou les lavandières ? Et combien étaient sincèrement persuadés d’avoir rencontré ces créatures de mort ? Ainsi vivent les légendes...

Les Lavandières de la nuit (ci-contre), de Yan’ Dargent (1824-1899)
Les Lavandières de la nuit, de Yan’ Dargent (1824-1899). © Bertrand Rieger / Détours en France
Sources

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