Chalon-sur-Saône : les incontournables d'une bonne vivante
Paradoxe bourguignon : la ville de Nicéphore Niépce, l’inventeur de la photographie, n’a pas vraiment d’image. De la cathédrale Saint-Vincent aux bords de Saône, Chalon-sur-Saône est pourtant photogénique pour qui veut bien la regarder. Ses manifestations culturelles en font aussi une ville vivante. Bonne vivante, même ! Les vignobles de la Côte chalonnaise sont à deux pas.
En 1827, Nicéphore Niépce (1765- 1833) réalise la première photographie de l’Histoire. Le Point de vue du Gras est une image captée depuis la fenêtre de sa maison de Saint-Loup, dans les environs de Chalon-sur-Saône, à l’aide d’une chambre noire et d’une plaque d’étain recouverte de bitume de Judée. Cette photo exceptionnelle a été acquise en 1963 par l’université d’Austin, au Texas, où elle est désormais conservée. On aurait aimé la voir à Chalon... On se consolera avec quelques-unes des trois millions d’images du musée Nicéphore-Niépce. Le bâtiment, situé en bord de Saône, occupe l’ancien hôtel des Messageries royales. On y découvre l’étonnante personnalité de Niépce, autodidacte génial et piètre homme d’affaires, qui s’est longtemps vu déposséder de son invention par un certain Louis Daguerre... Doté d’une collection unique sur les origines de l’image photographique, le musée recèle nombre d’appareils historiques, de la chambre noire de Niépce aux appareils jetables des années 1990. « Appuyez sur un bouton, on s’occupe du reste », clamait la publicité. L’usine Kodak, qui a longtemps fait vivre une bonne partie de Chalon-sur-Saône, a fermé ses portes en 2008.
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Une vue de carte postale
Nous partons à la découverte du Vieux-Chalon avec un drôle de couple de photographes. Josyane et Julien Piffaut, la mère et le fils, ont un studio en plein centre-ville que connaissent bien les Chalonnais. À leur suite, nous gravissons les marches de la tour du Doyenné. Étonnante histoire que celle de ce beffroi du XVe siècle, qui desservait à l’origine la maison du doyen des chanoines de la cathédrale Saint-Vincent. En 1907, la tour-escalier est démontée pierre par pierre. Entreposée à Paris chez un antiquaire, elle est achetée par le mécène américain Frank Jay Gould, pour être rapatriée dans sa ville d’origine et reconstruite à la pointe de l’île Saint-Laurent.
Du sommet, tout Chalon-sur-Saône se déploie : les tours de la cathédrale Saint-Vincent, le dôme de l’église Saint-Pierre, les quais de Saône et, au loin, la ligne ondoyante de la Côte chalonnaise. « Une vue de carte postale ! », sourit Julien. Au même instant, un bateau de croisière d’une centaine de mètres de long accoste quai Gambetta. Il est l’héritier d’une tradition qui remonte à l’Antiquité.
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Quatre paquebots fluviaux par jour
Née de la Saône, Chalon a toujours su tirer profit du commerce fluvial : aux amphores romaines ont succédé les marchandises du Moyen Âge. Les matelots gagne-deniers avaient coutume d’attendre le client au pied de la maison de la Mothe, une belle demeure à encorbellements et à pans de bois du XVIe siècle, située à l’angle de la rue du Pont et de la rue Saint-Vincent. Les embarcations de bois qui descendaient la rivière jusqu’au Rhône s’appelaient penelles, savoyardes, sisselandes, cadoles... Au XIXe siècle, le train de Paris s’arrêtait à Chalon, d’où les passagers prenaient le vapeur sur la Saône, jusqu’à Lyon et Marseille. À la même époque, les usines Schneider du Creusot transformèrent le débouché du canal du Centre en chantier naval, appelé le « Petit Creusot ». Jusqu’à 2 000 ouvriers y produisaient des torpilleurs, des sous-marins, des bateaux à ossature métallique, et jusqu’au pont Alexandre-III de Paris. Aujourd’hui, grâce à son fleuve, la ville accueille près de 200 000 visiteurs chaque année, à raison de quatre paquebots fluviaux par jour. Chalon sait ce qu’elle doit à la Saône. En plein centre, la future esplanade du Port-Villiers, jolis gradins to bant dans l’eau, doit bientôt célébrer les noces de la ville et de sa rivière. Date prévisionnelle de l’achèvement des travaux : fin novembre 2019.
Saint-Vincent, une cathédrale et des vignerons
Nos deux guides photographes nous emmènent ensuite sur la place Saint-Vincent, que dominent les hautes tours de la cathédrale du même nom. Comme tous les vendredis et dimanches, c’est aujourd’hui le marché. Il en va ainsi depuis le XVe siècle. Sur la jolie place encadrée de terrasses de cafés et de maisons à pans de bois, une foule joyeuse déambule parmi les stands des marchands. Dans un angle, on remarque la statue de saint Vincent, le patron des vignerons: « En octobre, c’est la Paulée, la fête de la fin des ven- danges. C’est toujours émouvant de voir les confréries vineuses en procession avec leurs bannières », observe Josyane Piffaut. C’est aussi l’occasion de déguster les doux breuvages de la Côte chalonnaise. La cathédrale étire sa façade blanche en hauteur. À l’intérieur, les chapiteaux romans ont été sculptés par des maîtres de Cluny. Les chapelles fermées par des claustras de pierre ont leur charme. Le cloître fraîchement rénové est à nouveau accessible au public, après des années de travaux.
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Un Brooklyn en bord de Saône
Mais les Piffaut, mère et fils, préfèrent nous montrer un patrimoine beaucoup plus surprenant. Un pan de la muraille gallo-romaine d’abord, sur lequel s’est construit l’évêché.
Puis, longeant la Saône, nous arrivons au port Nord. Portiques, grues rouillées aux longs bras métalliques, murs tagués et toiture à redans d’anciens entrepôts... Un décor décrépit qui ravit Josyane: « C’est mon studio grandeur nature ! J’y viens depuis des années pour faire des photos de mariage décalées, des portraits d’artistes, des catalogues de mode. L’atmosphère évoque Brooklyn. Un Brooklyn en bord de Saône... » L’activité portuaire de Chalon-sur-Saône s’est déplacée au sud, mais le port Nord n’est pas à l’abandon pour autant.
Un collectif d’artistes, la Méandre, y est amarré depuis 2011. Les anciens hangars à charbon et céréales abritent désormais des espaces de travail pour la vingtaine de photographes, plasticiens, comédiens, danseuses... qui composent le collectif : « C’est un lieu autogéré, qui est né sous l’impulsion du festival Chalon dans la Rue. C’est ce moment de folie annuel qui nous a tous attirés vers les arts vivants. Nous aimons l’idée d’apporter le spectacle aux gens, dans la rue », explique Pierre Acobas, artiste membre.
Le Théâtre dans la rue
Parler de Chalon, c’est immanquablement évoquer le théâtre de rue. La ville accueille, chaque été, l’un des plus importants festivals du genre en France. Chalon dans la Rue a été créé en 1987. « Durant cinq jours, plus de 200 000 spectateurs assistent à quelque 1 200 représentations données par 150 compagnies. Plus de 1 000 artistes professionnels en tout ! », énumère fièrement Bruno Alvergnat, codirecteur de la manifestation.
Notre rencontre a lieu à l’Abattoir, propulsé Centre national des Arts de la Rue et de l’Espace public en 2005. Bâtiments tagués, murs couverts d’affiches, ambiance alternative... Le lieu rappelle le port Nord, mais c’est ici, au bord de la Saône, que s’élabore très sérieusement le programme du festival. Des artistes en résidence y font leurs gammes. Et le succès est au rendez-vous. « Les premières années, seules quelques compagnies se produisaient. Des artistes qui sortaient dans la rue pour se connecter au public : nous étions précurseurs ! Peu à peu, les Chalonnais ont adopté la manifestation. La population qui vient est large. Les services techniques, eux, sont rodés par trente-trois années d’expérience. » Il faut dire que les compagnies prennent possession de la ville comme jamais : cour de l’évêché, place Saint-Vincent, quais de Saône... De la sortie de la gare à l’île Saint-Laurent, en passant par la citadelle, Chalon est effervescente de 8 heures à 3 heures du matin ! La quasi-totalité des spectacles sont gratuits et, comme à Avignon, il existe un « off ». Parmi les temps forts du festival, le lâcher de plumes au-dessus de la place de l’Hôtel-de-Ville est resté dans toutes les mémoires. Un an après, on en retrouvait encore sur les trottoirs...