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Petites histoires fascinantes de la case créole

Construite vers 1860 en bois dur du pays réputé imputrescible, la splendide maison Folio résiste depuis aux ravages du temps. Restaurée en 1969 par Raphaël Folio, elle est entretenue par ses enfants et est classée à l’inventaire des monuments historiques. Construite vers 1860 en bois dur du pays réputé imputrescible, la splendide maison Folio résiste depuis aux ravages du temps. Restaurée en 1969 par Raphaël Folio, elle est entretenue par ses enfants et est classée à l’inventaire des monuments historiques. - © Arnaud Spani / hemis.fr

Publié le par Clio Bayle

De la somptueuse demeure patricienne à double varangue à la modeste maison de campagne maquillée de couleurs vives et parée de broderies de bois, les cases sont le reflet de savoir-faire ancestraux et le miroir de l’âme créole. Dans leur écrin de végétation, ces maisons emblématiques ont su réinterpréter avec raffinement les grands courants architecturaux pour les adapter aux exigences de leur environnement.

Sous la varangue d’une case créole, où le soleil et les lambrequins dessinent d’élégantes dentelles d’ombre et où porte le parfum des jasmins et des roses du jardin, se résume toute la douceur de vivre « lontan ». Héritières des paillotes construites par les premiers colons, installés là par la Compagnie des Indes orientales dans la deuxième moitié du XVIIe siècle, ces maisons traditionnelles de l’île de la Réunion ont évolué sous diverses formes, plus ou moins fastueuses, jusqu’à constituer aujourd’hui un véritable melting-pot de styles architecturaux et ornementaux. Une diversité qui se déploie le plus souvent autour de quelques canons immuables, vestiges de l’influence française – un plan rectangulaire, une distribution intérieure symétrique, une haute toiture à quatre pans –, mais également pondichérienne, avec l’emblématique varangue.

 bâtie en enfilade avec une symétrie des pièces typiques de l'architecture traditionnelle, meublée et décorée dans le style créole, la maison Folio est un bijou de Hell-bourg posé dans son écrin de verdure.
Bâtie en enfilade avec une symétrie des pièces typiques de l'architecture traditionnelle, meublée et décorée dans le style créole, la maison Folio est un bijou de Hell-bourg posé dans son écrin de verdure. © Arnaud Spani / hemis.fr

La varangue pondichérienne

Sorte de véranda typique de l’architecture créole, la varangue apparaît sur l’île Bourbon dès le XVIIIe siècle, période de traite avec le comptoir français de Pondichéry. Inspirée des modèles indiens, elle joue au départ un rôle unique, celui de protéger l’intérieur de la chaleur et des morsures du soleil tropical. À partir du XIXe siècle, ce qui n’était qu’un aménagement ingénieux contre la chaleur devient peu à peu une pièce à vivre à part entière, dotée d’un mobilier spécifique constitué de fauteuils dit créoles aux dossiers cannés.

Le charme d'antan des maisons pavillons

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Une maison créole de l'Entre-Deux, commune rurale du sud-ouest de l'île. © Patrice Hauser / hemis.fr

Pour en découvrir certains des plus beaux spécimens, direction le pittoresque village de l’Entre-Deux, perché à 400 mètres d’altitude dans la partie méridionale de l’île. Dans ce bourg enclavé, resté longtemps difficile d’accès, le patrimoine bâti a été remarquablement épargné par les pressions foncières et les velléités de démolition. Visibles depuis la rue derrière leurs portails en fer forgé – les fameux « baros », comme on les appelle ici –, trônant de coutume au centre d’un jardin d’agrément, de multiples créoles s’admirent à loisir. Leurs pittoresques « façades-écran», parfois cache-misère, témoignent encore de cette tradition qui veut que les plus riches ornements et les fantaisies architecturales soient prioritairement affichés côté rue. Les lambrequins – ces dentelles décoratives aux motifs floraux ou géométriques sculptés dans du bois ou du métal – y sont nombreux, tout comme les varangues meublées de fauteuils cannés où se prélassent encore avec délice les Entre-Deusiens.

Métissage esthétique

e Musée Léon- Dierx, rue de Paris à Saint- Denis, a installé son importante collection d'art
Le Musée Léon- Dierx, rue de Paris à Saint- Denis, a installé son importante collection d'art moderne dans une maison du milieu du XIXe siècle réhabilitée dans les années 1960. © imageBroker/ hemis.fr

Si l’imaginaire collectif l’associe davantage à ces pavillons de village bariolés, la case créole réunionnaise s’interprète aussi dans des versions plus opulentes. À Saint-Denis, arpenter à pied le centre-ville donne un bel aperçu du large éventail de tailles et de formes qui compose le genre. Le spectacle le plus éloquent est sans nul doute celui qui s’offre au promeneur dans la rue de Paris. Le long de cet axe central et très fréquenté du chef-lieu de l’île, près d’une dizaine de résidences inscrites au titre des monuments historiques ont pignon sur rue. S’arrêter devant l’imposante façade de la maison Déramond-Barre, au numéro 15, permet d’admirer l’un des exemples les plus précoces et les plus exagérés de la fameuse « façade-écran ». Masquant un corps de maison bien plus étroit et plus modeste, le fronton orné de colonnes toscanes en bois, de moulures et de pilastres d’angle, relève presque du décor de théâtre ! Cette villa construite entre le XVIIII et le XIXe siècle illustre également parfaitement l’influence du courant néoclassique sur l’architecture créole de l’époque. À l’image de l’Europe et des États-Unis, La Réunion n’échappe pas au XIXe siècle à cet emballement post-baroque pour l’esthétique épurée de l’Antiquité. En témoignent quelques-uns des plus beaux édifices de l’île, tels le château Morange, en périphérie de Saint-Denis, et ses faux airs de villa de Palladio, ou la maison Motais de Narbonne, à Saint-Pierre, dont la double varangue à colonnades n’est pas sans rappeler les portiques gréco-romains. Un métissage esthétique qui ne connaît ni frontières géographiques ni temporelles, et que l’on retrouve également dans les décors : style maniériste à la villa Ponama, à Saint-Denis; victorien et Art déco à la maison Martin-Valliamée de Saint-André; ou indien dans la galerie du domaine de Vallée à Saint-Pierre. Décidément, il est bien difficile de faire entrer la créole dans une case...

Dans les environs de Saint-Philippe, au Baril, Joseph Tafiki (1905- 2002) a édifié, à partir de 1933, un oratoire dédié à Saint-Expédit. Ce père de 14 enfants surnommé « le serviteur des pauvres » a bâti au fil des années trois petites chapelles créoles. Des centaines d'ex- voto sont déposés par les fidèles sur le site entouré de verdure.
Dans les environs de Saint-Philippe, au Baril, Joseph Tafiki (1905- 2002) a édifié, à partir de 1933, un oratoire dédié à Saint-Expédit. Ce père de 14 enfants surnommé « le serviteur des pauvres » a bâti au fil des années trois petites chapelles créoles. Des centaines d'ex- voto sont déposés par les fidèles sur le site entouré de verdure. © Bertrand Rieger / Détours en France

Egor Lurra, histoire d'une résurrection

En 1975, Nicole et Alain tombent sous le charme d’une case créole située rue Roland-Garros, à Saint-Denis. Nichée au fond d’une allée pavée de pierre de lave, la belle est discrète parmi ses célèbres voisines comme les maisons Ponama et Turquet. Elle revêt toutes les caractéristiques d’une créole traditionnelle du XIXe siècle : toit à quatre pans, varangue, parquets, disposition des pièces. Son état de délabrement, dû aux carias et aux effets induits des cyclones, a de quoi tempérer les ardeurs du couple : « À certains endroits, s’appuyer contre une cloison, c’était passer au travers! », se souvient Alain, médecin, bâtisseur et plasticien à ses heures. Mais au début des années 1980, les maisons créoles en bois sont rares. Beaucoup ont été détruites et reconstruites en béton, plus résistant aux cyclones. Cloisons, parquets, toiture, allée... aidés d’un jardinier, d’un artisan du bois et d’un charpentier, ils restaurent tout, patiemment. Ils exhument dans une déchetterie de l’île quelques trésors: pièces de bois de natte intactes, poignées de portes en porcelaine, planches de bois endémiques. Vingt ans plus tard, leur case créole, baptisée Egoï Lurra, est inscrite aux monuments historiques.

Sources

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