
Deux cheminées et une grande halle en brique rappellent un passé industriel. Mais la nappe de béton qui drape le bâtiment d’accueil ou la passerelle aux lignes épurées reliant des édifices contemporains nous propulse dans une nouvelle page de l’histoire du site verrier de Meisenthal. L’ancienne fabrique vient de faire l’objet de grands travaux pour proposer, entre autres, un nouveau parcours de visite. Meisenthal, c’est une belle histoire. Celle de la renaissance d’une verrerie fermée en 1969 qui, grâce à la pugnacité d’amoureux du patrimoine et d’anciens artisans, s’est transformée en un Centre international d’art verrier (CIAV) dans les années 1990. Aux confins de la Lorraine et de la Moselle, ce centre valorise un savoir-faire ancré depuis des siècles dans les Vosges du Nord.
Apprivoiser la matière

Dans l’atelier où ronronnent les fours à fusion, avec leurs cannes rougeoyantes au bout des bras, les souffleurs livrent un gracieux ballet. Leur mouvement est fluide, leur geste rapide et précis. En ce mois d’octobre, ils fabriquent Piaf, la boule de Noël 2021 imaginée parla créatrice Harmonie Begon. Depuis plus de vingt ans, pour dépoussiérer l’image du verre, le CIAV invite chaque année des créateurs contemporains à revisiter la boule en verre de Noël fabriquée jusqu’en 1964 par une verrerie voisine, à Goetzenbruck. L’histoire raconte qu’en 1858 un artisan verrier du village imagina une bouleen verre pour décorer les arbres de Noël à la place des pommes de pin, introuvables cette année-là à cause d’une sécheresse. Dans l’atelier, tout commence par la couleur. Des ballottes – des barres d’émail aux nuances variées – sont mises à chauffer dans un four à 500 °C pour transmettre la couleur au souffleur, par cannes interposées. D’un petit tour de poignet sec, ce dernier répartit la substance colorée à la pointe de la canne avant d’aller prélever le verre dans le four à 1150 °C.
Je vais cueillir le verre et, en même temps, enrober la bille de couleur par le verre en fusion. Jean-Marc Schilt, souffleur de verre.
L’étape suivante est délicate. Jean-Marc fait rouler la canne sur un établi et saisit une mailloche, un maillet en bois creux, pour donner la forme à la boule. « C’est le verre qui décide. Tant qu’il est chaud,il faut tourner. Le secret pour réussirune pièce consiste à réaliser le bongeste à la bonne température. » Le geste tant attendu arrive. Jean-Marc souffle dans sa canne. À l’extrémité les deux couches se mélangent et le verre prend sa couleur. Il est ensuite introduit dans le moule avec le décor de Piaf, le millésime 2021 de la boule de Noël. Sa créatrice a voulu évoquer les traces laissées par les mésanges quand elles picorent des boules de graines pendues aux arbres. Ce motif aléatoire représente la vingt-quatrième boule contemporaine pensée par des artistes pour les ateliers de Meisenthal. Avant Piaf, il y a eu Silex, évoquant un éclat de pierre, conçu par les designers du Studio Monsieur à Paris, ou Cumulus, un nuage de verre imaginé par Mendel Heit. « Chaque année, nous attendons des artistes qu’ils nous surprennent », explique Nathalie Nierengarten, directrice artistique chargée de l’opération, elle-même créatrice de la boule Arti en 2018. « C’est un processus de co-construction avec les auteurs, car les contraintes techniques du verre peuvent réorienter le propos et la forme de la boule. Il faut environ six mois entre la sélection de l’artiste en janvier et la conception du moule en juillet », dit-elle.

Une aventure artistique

Disponible en une douzaine de couleurs, ornée d’une attache en verre, la boule est mise à refroidir par palier dans un four à 500 °C. Elle passe ensuite entre les mains expertes des techniciens « à froid » qui traquent le moindre défaut. Entre octobre et décembre, ce sont près de 700 boules de Noël qui sortent chaque jour des ateliers. En 2021, Piaf a été éditée en 36 000 exemplaires.

En comptant les rééditions des modèles des années précédentes, la production annuelle de boules de Noël atteint les 70000 unités. Si le décor de Noël est le projet le plus connu, des vases, des carafes, des bijoux sont aussi créés à Meisenthal. La collaboration avec des créateurs s’inscrit dans le sillage de celle menée entre 1867 et 1894 avec Émile Gallé, maître de l’Art nouveau. Le chef de file de l’école de Nancy mena alors des recherches techniques avec les verriers et fabriqua ici la plupart de ses pièces, consacrant Meisenthal comme le berceau du verre Art nouveau.