Les lacs de la forêt d'Orient

La régulation de l’eau du bassin de la Seine a fait de l’Aube un département réservoir. Et ce qui sert à la gestion des crues et des étiages profite aussi... au tourisme ! Pour apprécier ces lacs, rien de tel qu’un vol en ULM. Combinaison, casque et écouteurs revêtus, nous décollons de l’aérodrome de Brienne-le-Château avec Salvatore Rusciani, pilote chevronné et patron d’Aube ULM. Sous nos pieds, les champs de chaume moissonnés créent des courants d’air chaud ascendants. Le « pendulaire » danse dans le ciel avant de se stabiliser au-dessus de l’eau. Les voilà donc, ces lacs de la forêt d’Orient. Ils sont trois et leur contiguïté ne dit rien de leur différence. Amance et le lac du Temple, reliés par un canal de jonction, sont des réservoirs de l’Aube. Le lac d’Orient, au sud, est un réservoir de la Seine. Loin au nord, nous distinguons même l’autre bassin aubois, le lac du Der-Chantecoq. Lui est une réserve de la Marne.
Un département sauvage
Très découpés avec leurs presqu’îles forestières, les trois lacs font penser à des paysages croates, voire finlandais. Nous montons à 800 mètres d’altitude, virons au-dessus du lac d’Amance, le seul où le motonautisme est autorisé. Puis plongeons vers les rives du lac du Temple. C’est le plus sauvage, l’unique à ne pas disposer de plages. Une partie est protégée par une Réserve naturelle nationale, dans laquelle on peut observer hérons, grues cendrées, cigognes noires... Preuve qu’hydraulique et nature peuvent faire bon ménage, les lacs sont inclus dans le périmètre du Parc naturel régional de la forêt d’Orient. D’un virage à gauche à 360° et d’une descente rapide, nous ciblons soudain le lac d’Orient. Changement de décor ! Ses trois plages, Géraudot, Lusigny et Mesnil-Saint- Père sont noires de monde. Avec son port de plaisance, sa promenade littorale et ses itinéraires cyclistes, Mesnil-Saint-Père est la « Riviera auboise ». Une fois au sol, on ira se perdre sur les chemins forestiers ou les rives silencieuses du lac du Temple. Quant à nous, nous rentrons d’un coup d’ailes à la base, heureux d’avoir dégusté en mode « drone » ce poumon de nature.
Avalleur, fief des Templiers

L’Aube est le berceau de l’ordre du Temple. En 1129, le concile de Troyes reconnaît cet ordre religieux militaire chargé de protéger les États latins d’Orient. Avalleur, à Bar-sur-Seine, est une de leurs commanderies. Fondée vers 1140, elle devient l’une des plus riches de l’Ordre. Quand, en 1307, le roi Philippe le Bel ordonne sa dissolution, elle passe aux mains des Hospitaliers. Ils la détiendront jusqu’en 1790. C’est cet ensemble que le public découvre. Du XIIIe siècle, la chapelle est l’édifice le plus ancien. Les templiers s’y réunissaient jusqu’à huit fois par jour, jurant fidélité à l’Ordre et à la Terre sainte. C’est là que le commandeur adoubait les nouveaux soldats, leur remettant le manteau frappé de la croix rouge, blanc pour les chevaliers, brun pour les sergents. La charpente en chêne, splendide, date de 1220. Restauré, le corps de logis abrite la salle de réception et, à l’étage, la chambre du commandeur hospitalier. Le site propose ateliers et animation culturelle.
Chaource, de l'histoire et du fromage

Ce n’est pas pour le fromage que nous sommes venus à Chaource. Aussi délicieuse soit cette pâte à croûte fleurie, nous avons mis cap sur le Pays d’Armance, au sud de Troyes, pour... une mise au tombeau. Car l’église Saint-Jean-Baptiste abrite un Saint-Sépulcre d’une facture exceptionnelle. Réalisé au XVIe siècle, il fascine par sa gravité et l’expression de douleur des statues. Sept personnages entourent le corps du Christ. Marie est penchée avec retenue au-dessus du visage de son fils. Derrière elle, Jean a le regard dans le vide. Joseph d’Arimathie enveloppe le Christ dans un linceul... La scène est poignante. Trois autres personnages montent la garde près du tombeau, installé dans une petite crypte voûtée. Cette œuvre a donné son nom à celui qui l’a exécutée, le Maître de Chaource. Il fut à l’époque l’un des meilleurs interprètes de « l’école troyenne ». Ne manquez pas la crèche en bois et ses « santons » passés à l’or fin, ainsi que le retable de la Passion, de 1536, à forte influence Renaissance. Last but not least, allez à la fromagerie artisanale de Chaource !
Villemaur-sur-Vanne, jubé de luxe

En Pays d’Othe, au sud-ouest de Troyes, l’église de ce village céréalier bluffe d’abord par sa tour-clocher. De plan carré, elle est entièrement recouverte jusqu’au sol d’essentes de châtaignier. Ces bardeaux sont une carapace artistique offerte à la pluie, au soleil et aux rigueurs de l’hiver aubois. Mais il y a encore mieux à l’intérieur : le jubé. En chêne clair, fermant entièrement le chœur, c’est le plus riche des jubés de bois subsistant en France. Datant de 1521 et jadis polychromé, il est un livre ouvert d’instruction à l’usage des croyants et des pèlerins du Moyen Âge. 26 bas-reliefs évoquant la Passion décorent la tribune, avec motifs sculptés Renaissance côté nef et gothique côté chœur. Admirez également le plafond. Lui aussi en bois, il forme un cerceau gracile au-dessus du chœur et du transept, du XIIIe siècle, ainsi que de la nef, rebâtie au XVIe siècle. Un tel trésor mériterait une mise en valeur informative. C’est prévu mais vite, s’il vous plaît !
Le musée Napoléon de Brienne-le-Château

De 1779 à 1784, le tout jeune Bonaparte fait ses classes à l’école royale militaire de Brienne. C’est l’une des douze chargées alors en France de former aux métiers des armes. Napoléon repassera à Brienne en 1805 puis en 1814, lors de la campagne de France. Rien de plus logique à ce que la ville, dominée par l’élégant château du comte de Brienne, lui rende hommage. Depuis 2018, une muséographie moderne, dans l’ancienne école militaire, présente différents aspects de sa vie : Napoléon intime ; ses campagnes militaires (pont d’Arcole, Égypte, Russie...) ; sa boulimie réformatrice... Le Code civil, le baccalauréat, les préfectures, la Légion d’honneur, le cadastre, le Conseil d’État, les chambres de commerce, les Prud’hommes..., c’est lui ! Dommage qu’il n’y ait rien sur son accession au pouvoir ou sur sa période « île d’Elbe » : on aurait aimé un tour d’horizon plus complet. Pour poursuivre la visite, le territoire a créé un parcours aménagé autour de 25 pupitres, chacun représentant un haut lieu de la campagne de 1814. Il est tracé autour d’une ville où Napoléon a convenu avoir « ressenti les premières impressions de l’homme ».
L'abbaye de Clairvaux, double enfermement

Clairvaux. En France, ce nom claque comme une réclusion ad vitam pour nos plus grands criminels. Mieux que la fonction religieuse, son image carcérale domine dans l’inconscient collectif. Une prison. En voie de fermeture, certes, mais dont la réalité s’impose dès qu’on y pose le pied. L’atmosphère flirte avec une fin d’époque. Les bâtiments sont délabrés ou ruinés, des miradors sont abandonnés. Clairvaux a accueilli jusqu’à 3000 prisonniers au XIXe siècle. Il n’en restait plus que 56 durant l’été 2021. Les visites guidées ne font pas abstraction de cette double vocation d’enfermement. Pour la partie religieuse, tout démarre en 1115. Fondée en pleine nature, Clairvaux est alors la quatrième abbaye cistercienne bâtie en France. Jusqu’au milieu du XIIIe siècle, 500 personnes y vivent, des moines et des convers. Issus des familles pauvres des environs, ces derniers viennent trouver gîte et couvert, en échange de travaux manuels. Il y a de quoi faire sur les plus de 20000 hectares de terres. Vignes, forêts et labours occupent les journées. En 1708, à l’étroit, les moines reconstruisent l’abbaye. Tout est démoli sauf l’église et le bâtiment des convers, seul vestige de l’époque médiévale. Et quel vestige ! Cellier à croisées d’ogives, immense réfectoire et dortoir voûtés : sur trois niveaux, il exprime son parfait dépouillement cistercien.
Bâtiment des Convers, atelier pour prisonniers
Après la Révolution, tout change. L’État rachète Clairvaux en 1808 avec l’intention d’en faire une prison. L’église médiévale est mise à terre pour récupérer les matériaux. Une chapelle est élevée, avec la vocation de « redresser » les enfants. Le site est clos, donc sûr : le travail et l’esprit religieux ne pourraient-ils pas remettre en prime les détenus dans le droit chemin ? Le bâtiment des convers est transformé en atelier de travail pour hommes et fonctionne jusqu’en 1955. Les autres édifices abbatiaux du XVIIIe siècle accueillent les cellules, occupées jusqu’en 1971. Émotion garantie devant une salle collective de 25 m2 où s’entassaient 25 prisonniers. Stupeur devant ces « cages à poules » d’un dénuement total, utilisées la nuit pour enfermer certains détenus. Une autre prison plus moderne sort de terre dans les années 1960. Y passeront les terroristes Carlos et Anis Naccache, le tueur Guy Georges... Elle fermera en 2023. Que fera l’État des 30 hectares de site qui lui appartiennent encore ?
Essoyes, village de famille des Renoir

L'une des très jolies communes du département ! En plein territoire de la Côte des Bar – des champagnes aussi bons que ceux de Reims et d’Épernay, hélas moins connus –, ce beau village à maisons à colombages baigné par l’Ource a abrité pendant plus de trente ans les vacances estivales de Pierre-Auguste et Aline Renoir, native d’ici. Le couple achètera une maison à Essoyes, auquel furent très attachés les fils Jean (le cinéaste) et Claude (le céramiste). Renoir lui-même souhaitait « paysanner en Champagne, pour fuir les modèles coûteux de Paris et faire des blanchisseuses ou plutôt des laveuses au bord de la rivière ». De fait, deux personnes lui servirent souvent de modèle : son épouse et Gabrielle Renard, la nourrice de Jean, une villageoise de caractère. Voilà ce que l’on apprend en visitant les deux sites qui rendent hommage à la famille du peintre : le Centre culturel « Du côté des Renoir », près de la mairie, exposition permanente sur leur vie à Essoyes (où l’on découvre que le couple introduisit le vélo, rapidement adopté par les vignerons !) dans la maison familiale, belle demeure de maître où Renoir renoua, dans un atelier au fond du jardin, avec une peinture douce et légère et aborda la sculpture. Essoyes propose aussi un parcours fléché, agrémenté d’œuvres du peintre reproduites sur des façades. Le parcours s’achève au cimetière, devant les émouvantes tombes du couple et de leurs trois enfants.

Où se trouve le département de l'Aube (10) ?
Voisin de la Marne et de la Haute-Marne, l'Aube est un département de Champagne-Ardenne, en région Grand Est. Sa préfecture est Troyes.