Randonnée vers le pic de Néouvielle

Décider de « faire » le pic de Néouvielle n’est pas un choix de tout repos. Entre excitation du challenge et crainte d’une défaillance, la psyché joue au yoyo à mesure que le défi approche. Comme souvent en pareil cas, il suffit d’être en action pour se libérer de l’étau. Le temps est splendide, nous sommes encadrés par un guide ultra-compétent et la forme est plutôt au rendez-vous : qu’avons-nous à craindre si ce n’est le bonheur de réussir cette ascension peu technique mais éprouvante de cette randonnée dans le massif des Pyrénées ? Depuis le lac d’Aubert (2148 m), l’un des six qui s’étirent au pied du massif de Néouvielle, l’objectif du jour se dessine... Ce n’est pas le piton qui se dresse là-haut, au premier plan (le pic Ramougn, 3 011 m), mais celui situé derrière, 90 m plus élevé. De sentier pour y accéder, il n’y en a point. Juste des traces et des cairns, preuve que l’on parle d’ascension et non de randonnée. C’est d’ailleurs l’une des premières remarques de Pascal Pellarey, notre guide. « Au bureau de Saint-Lary, nous vendons le pic de Néouvielle comme une découverte de l’alpinisme. D’ailleurs, la montée s’effectue avec des crampons jusqu’à début août, à cause des névés », éclaire le spécialiste.

La première heure ressemble à toutes les entames de randonnée en montagne : une mise en jambes transpirante, réalisée ici « droit dans la pente », jusqu’au seuil de la crête de Barris d'Aubert. En dessous, les lacs offrent déjà leur tracé en mode drone. On jette un rapide coup d’œil sur leur bleu miroitant avant d’entamer le plat de résistance, la sévère montée dans un chaos rocheux vers la brèche de Chausenque (2790 m). Aucun répit n’est à espérer dans ce goulot. Chaque pas sur une pierre, ronde, angulaire, inclinée (jamais la même, les pieds s’en souviendront), hisse en altitude. Quelques dizaines de mètres avant d’arriver à l’échancrure, le second souffle est déjà largement trouvé quand nous obliquons vers la gauche. L’ascension est soudain divertie par l’apparition de deux bouquetins. Une surprise pour Pascal Pellarey, qui n’en avait plus vu dans le secteur depuis deux ans. Ils dansent sur les blocs, peu dérangés par notre présence. Moins agiles qu’eux, nous nous concentrons sur le franchissement de deux petits névés, ultimes vestiges de l’hiver. « Le Néouvielle est beaucoup moins pénible du printemps à mi-juillet. On marche dans la neige, les pas sont plus réguliers. Et à la descente, on chausse les skis », précise Pascal. Le « ski de rando », plus facile que la « rando » ? À première vue, on n’aurait pas pensé... Tête levée, le pic de Néouvielle nous tend les bras, 100 ou 150 m au-dessus. Il paraît loin mais lorsque le guide nous jure qu’il ne reste que vingt minutes pour l’atteindre, une décharge d’énergie décuple notre envie. Mine de rien, on a laissé sur le carreau un « petit jeune » d’à peine 20 ans, épuisé et affalé plus bas au pied d’un rocher. Orgueil du quinqua face à l’insolente santé présumée de la jeunesse…

Il est 11 h 45 quand nous atteignons le sommet. 3 h 45 d’effort, avec « effet waouh garanti ». La position centrale du pic dans les Pyrénées, comme le ciel immaculé, ouvre la vue sur les ténors du massif : à l’est, le pic d’Arbizon ; au nord, le pic du Midi de Bigorre (ainsi que la vallée de Barèges et la plaine de Tarbes) ; à l’ouest, le Vignemale et ses restes de glacier; au sud et au sud-est, le dos des cirques de Gavarnie, Estaubé et Troumouse (avec la brèche de Roland) et les grands d’Espagne, le mont Perdu, Les Posets et le pic d'Aneto, roi des Pyrénées (3404 m). Rien que du granite costaud, minéral et enivrant. Sandwich avalé et selfie enregistré (une preuve pour clouer le bec aux copains !), nous échangeons avec d’autres grimpeurs avant de redescendre. « La descente du Néouvielle n’est pas simple. Les jambes trinquent mais s’accrochent, motivées par la perspective d’une table de bar. Elle nous tendra les bras trois bonnes heures plus tard, sur la terrasse du refuge du lac d’Orédon. L’Aoucataise artisanale, brassée à Arreau, n’en sera que meilleure. Nous avons vaincu le Néouvielle !