Près de Toulon, ces balades au goût de bout du monde

Du Jonquet au Mont-Salva, suivons la piste des crêtes varoises aussi splendides qu’impénétrables. Un voyage entre terre et mer, où l’on se perd dans la splendeur du maquis et la contemplation de la côte. Sur le chemin du Jonquet, on aperçoit les Deux Frères, rochers jumeaux situés face à la pointe des Jonquiers. Une légère brise marine balaie les troncs cuivrés de la pinède. Nous sommes sur le site du Jonquet, au début de la corniche varoise qui sinue sur les hauteurs du cap Sicié en direction du Brusc, à l’ouest. En contrebas : la plage éponyme, un de ces rubans de sable qui dentellent le cap. On préférera les découvrir par la mer tant l’érosion les a rendus inaccessibles. À l’ombre des pins du Jonquet, la contemplation de la côte nous suffit. Deux reliefs barrent l’horizon à l’ouest : la presqu’île de Saint-Mandrier et le massif de la Colle-Noire. Notre randonnée débute ici, le long du sentier balisé en jaune. Les cailloux de schiste pailletés tapissent le chemin. C’est cette roche cristalline qui semble feuilleter les falaises du cap Sicié aux Embiez.

À travers les arbres, on distingue les rochers des Deux Frères, deux pains de sucre plantés dans la mer, haut lieu de plongée avec un tombant tapissé de corail rouge. Bientôt, un raidillon nous hisse près de l’ancien sémaphore du cap dévoilant une vue saisissante de la Sainte-Baume au nord aux îles d’Hyères au sud-est. Des genêts en fleurs et des bouquets de fenouil ont remplacé les grands pins, et c’est dans un paysage de maquis que nous découvrons les vestiges du sémaphore et de quelques habitations. « Une ancienne caserne construite sous Napoléon », précise Martin Grange, guide-conférencier de la région qui nous accompagne. « L’emplacement stratégique du cap Sicié près du port de Toulon a toujours imposé des constructions de défense et de surveillance », insiste-t-il. En bas, sur une arête rocheuse fendant la mer, les ruines d’une batterie de côte reçoivent toujours les gifles du vent.

Nous poursuivons notre marche vers l’ouest, sur un long chemin de crêtes. Au loin : le rocher du Bec de l’Aigle, à La Ciotat, et les îles au large des calanques de Marseille. Puis nous voilà au sommet du cap Sicié (350 mètres), devant la chapelle de Notre-Dame-du-Mai. L’édifice ocre est postérieur au « farot » en pierre sèche, dont la présence est attestée dès 1302. « Celui que l’on observe date de 1589. Le farot, ou tour de garde, servait à prévenir les habitants de l’arrivée d’un navire suspect. Le nom de Six-Fours-les-Plages ferait référence à six farots positionnés sur des sommets des alentours du village, incluant celui-ci », explique Martin Grange. La chapelle est élevée au XVIIe siècle pour remercier la Vierge d’avoir sauvé deux veilleurs de la foudre. Elle protège aussi les marins, comme l’attestent les ex-voto présents sous ses voûtes. Après la chapelle, le sentier des crêtes se poursuit, céleste, avant de descendre dans la pinède. Après un bref passage dans une zone résidentielle, la vision de la plage du Mont-Salva, avant la pointe de Mourret, tient presque du mirage. Picturale, elle apparaît derrière un long rideau dessiné par les troncs élancés des pins. Un sentier escarpé mène à ce petit paradis sauvage comme le cap Sicié en a le secret.

Cet ancien port d’escale dans l’Antiquité est l’un des plus beaux sites de la baie de Six-Fours. Sculptée de falaises et de criques prodigieuses, nantie d’une biodiversité marine exceptionnelle, l’île fait honneur à sa réputation le temps d’une échappée nautique. Face à la pointe occidentale du cap Sicié, l’île des Embiez ferme la rade de Six-Fours-les-Plages. Sur la plage des Charmettes, près du port du Brusc, on n’hésite pas à monter sur un paddle pour pagayer vers cette île. Notre guide ? Adrien Bosson, vice-champion du monde et d’Europe de windsurf qui a grandi au Brusc et gère une école de windsurf et de wingfoil (surf sur une planche de foil dirigée à l’aide d’une aile gonflable, ndlr). Il connaît les côtes de l’île comme sa poche. « La baie de Six-Fours reçoit le vent de tous côtés. C’est un site privilégié pour les sports de glisse mais, par temps calme, le paddle est idéal pour découvrir l’île », précise-t-il. Nous mettons le cap sur la pinède des Embiez puis longeons sa côte vers le nord-ouest, en direction de l’île du Petit Rouveau. En passant devant le port où accostent les navettes maritimes, on songe au destin de cette île, port d’escale de pêcheurs dans l’Antiquité, propriété des moines de l’abbaye de Saint-Victor qui y exploitèrent des salins au Moyen Âge, puis usine de soude au XIXe siècle. C’est l’industriel Paul Ricard qui lui décide un avenir hédoniste et touristique en l’acquérant en 1958. Il y fait aménager un port et des hébergements tout en créant un Institut océanographique pour étudier la biodiversité marine. Cette richesse des fonds marins, on la perçoit à l’approche du Petit Rouveau où les eaux transparentes dévoilent des rochers à fleurs d’eau ourlés d’algues mordorées. « C’est aux Embiez que Jacques-Yves Cousteau, Philippe Tailliez et Frédéric Dumas, surnommés les “Trois mousquemers”, ont réalisé, en 1942, le premier film sous-marin français Par dix-huit mètres de fond », éclaire Adrien Bosson.

Encore quelques coups de pagaie, et nous abordons la côte ouest de l’île sans voiture, plus rustique, sculptée de falaises et de criques. La mer plus agitée donne un petit parfum d’aventure à notre navigation vers la pointe du Coucoussa, tout au sud. On peut accoster sur la plage éponyme, enchâssée entre les pins et les rochers ou poursuivre dans un superbe détroit où les eaux calmes et translucides séparent les Embiez de l’île du Grand Gaou. Le temps de jeter un œil aux vignes tressées sur les coteaux et nous voici sur les hauts-fonds de la lagune des Embiez, au bord des anciens salins. Dans la pinède, les cigales sifflent la fin de notre boucle autour de l’île, qui prendra bien une journée si l’on cède à l’appel des criques.