Une nuit dans le château oublié de Rosa Bonheur

Figurez-vous une petite femme en pantalon, visage carré, cheveux courts, observant, pinceau et cigarette à la main, les dizaines de bêtes vivant en liberté dans le parc de sa propriété… Nous sommes dans la seconde moitié du XIXe siècle, Rosa Bonheur, peintre animalière, vient d'acquérir ce château en bordure de la forêt de Fontainebleau. Devenue célèbre, elle s'est offert ce havre de paix en 1859. Elle veut y vivre et y peindre loin du tumulte de Paris, entouré de quelques domestiques et de la seule foule qu'elle tolère, une quarantaine d'animaux sauvages et domestiques : des oiseaux, des chiens et même une lionne qu'elle prénomme Fatma. 

Le décor est posé. Dormir au château de Rosa Bonheur, c'est plonger dans l’histoire et dans l’intimité d'une artiste et d'une personnalité hors du commun. Depuis sept ans, une femme y veille jalousement. En septembre 2017, Katherine Brault rachète la propriété aux descendants d'Anna Klumpke, l'héritière de l'artiste. Comme cette peintre que Rosa Bonheur avait pris sous son aile, Katherine Brault poursuit un but : perpétuer la mémoire de Rosa Bonheur. Pour cela, les idées fourmillent : un salon de thé, des visites guidées, des expositions et, depuis 2019, l'ouverture de chambres d'hôtes. Il y en aura bientôt cinq, pour l'instant trois : la propre chambre de Rosa, qui garde l'intégralité de son décor d'origine (ou presque), son atelier d’hiver, dans lequel elle peignait quand il faisait trop froid, et la chambre de Nathalie Micas, sa grande amie de toujours. Rien n'a été dénaturé. La volonté de la propriétaire a été vraiment de garder cette ambiance surannée et, quand c'était possible, de meubler et décorer avec ce qu’il y avait dans le château. Coup de coeur pour cette armoire vitrée dans laquelle on trouve encore les vêtements en très bon état de l'artiste - vestes bleu marine, blouse en dentelle -, ou encore pour les salles de bain des trois chambres, aménagées pour y apporter tout ce qu'il faut de confort sans en altérer le cachet. 

Pour dîner sur place, l’établissement propose une table d’hôtes installée dans le salon de Rosa Bonheur. Nappe blanche, porcelaine et argenterie dépareillées.... L'ambiance est bohème chic, mais sans chichis, pour donner cette impression subtile aux clients qu'ils habitent véritablement le château. Pour le petit-déjeuner servi à partir de 10h30 : scones maison, œuf à la coque et pain de campagne. En semaine, il est aussi possible de déjeuner (formule entre 30 et 36 euros) sous la verrière du salon de thé (ou d'y bruncher le week-end, 35 euros), un endroit plein de charme et lumineux. 

L’atelier et les autres salles se visitent uniquement lors de visites guidées (sur réservation uniquement). Le premier, construit par l’architecte Jules Saulnier, a été laissé intact depuis la mort de l'artiste en mai 1899. Les pigments, les chiffons, les pinceaux en très bon état, ses vêtements, le mannequin qui lui sert de modèle, ses animaux empaillés, ses peaux… Rien n’a bougé et on pénètre d'autant plus facilement dans cet univers extraordinaire qui était le sien, un monde que Katherine Brault continue de faire vivre avec passion, notamment grâce aux archives qu'elle conserve précieusement.