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On vous raconte Bourges : petites histoires et grandes passions

Au cœur du Vieux Bourges se dresse la cathédrale Saint- Étienne, édifice remarquable classé au patrimoine mondial de l’Unesco Au cœur du Vieux Bourges se dresse la cathédrale Saint- Étienne, édifice remarquable classé au patrimoine mondial de l’Unesco - © Tuul and Bruno Morandi / Détours en France

Publié le par Tuul Morandi

On y pense peu pour un week-end et pourtant... La capitale du Berry a le sens de l’histoire et l’âme d’une muse. Ceux qui goûtent au charme de ses maisons à pans de bois et de ses palais renaissance peuvent irrémédiablement s’enticher de cette « belle endormie ». Rencontre avec des amoureux d’hier et d’aujourd’hui.

En cette journée ensoleillée de fin d’été, l’ambiance est conviviale sur la place Gordaine. Au pied des plus belles façades à pans de bois de la ville, pas une table n’est libre sous les parasols multicolores des terrasses. Même les abords de la fontaine, qu’ombrage un cèdre centenaire, ont attiré les badauds en quête de fraîcheur. C’est là, sous les branches de cet « arbre de la Paix », érigé en 1920 en hommage aux Poilus, que nous a donné rendez-vous Jérôme Blin, admirateur éperdu des lieux.

Berruyer d’adoption, notre guide Jérôme Blin nous invite à découvrir l’histoire et le bâti exception- nel de la ville, mais aussi le destin singulier de Marcel Bascoulard, un artiste vagabond et marginal de talent.
Berruyer d’adoption, notre guide Jérôme Blin nous invite à découvrir l’histoire et le bâti exceptionnel de la ville, mais aussi le destin singulier de Marcel Bascoulard, un artiste vagabond et marginal de talent. © Tuul and Bruno Morandi / Détours en France

Pour ce Berruyer d’adoption, Bourges n’est pas une cité comme les autres. Depuis quarante ans qu’il la fréquente, elle attise chez lui une passion et un immuable goût de reviens-y... Quand il ne s’adonne pas à l’écriture dans sa maison de La Chapelle- d’Anguillon, « où flotte l’aura d’Alain-Fournier  (auteur du Grand Meaulnes, ndlr) », il passe ses soirs et week-ends à arpenter les ruelles pavées de cette ville qu’il connaît comme sa poche.

DE la place Gordien à la rue Mirabeau, en passant par la promenade des remparts gallo-romains, le centre historique a le charme désuet des cités médiévales avec ses ruelles pavées et ses coquettes maisons à colombages.
De la place Gordaine (ci-contre) à la rue Mirabeau (ci-dessous), en passant par la promenade des remparts gallo-romains, le centre historique a le charme désuet des cités médiévales avec ses ruelles pavées et ses coquettes maisons à colombages. © Tuul and Bruno Morandi / Détours en France
Habitants et touristes marchant dans la rue commerçante animée.
Habitants et touristes marchant dans la rue Mirabeau, rue commerçante et animée de Bourges. © Tuul and Bruno Morandi / Détours en France

S’il nous a donné rendez-vous sur la place Gordaine, ce n’est pas par hasard. C’est l’un des coins qu’affectionnait aussi un autre mordu de Bourges, un personnage bien connu ici, celui dans les pas duquel il a décidé de nous faire découvrir la ville. « Marcel Bascoulard est une sorte de légende pour les Berruyers, un héros miséreux qui toute sa vie a dessiné les rues pavées de la ville avec un talent inouï », raconte celui qui a accepté de nous servir de guide. Lui qui vient de s’offrir un dessin de cet artiste vagabond, mort assassiné en 1978, s’est plongé dans l’histoire fascinante du dessinateur virtuose. « Il n’a pas eu de chance dans la vie. Il a 19 ans quand sa mère Marguerite abat son père Léon d’une balle dans le dos. Est-ce le traumatisme qui fera basculer sa vie dans la marginalité ? Il devient par la suite ce clochard magnifique dont l’originalité n’avait d’égal que son talent. » 

L’extraordinaire niveau de détails avec lequel Marcel Bascoulard a inlassablement dessiné et redessiné les sites les plus emblématiques de la ville est sidérant. Enrichie de ses croquis à l’encre ou au pastel, la visite prend une dimension nouvelle. La place Gordaine, puis la rue Mirebeau nous apparaissent d’autant plus belles après les avoir vu couchées sur le papier. « La profusion de détails avec laquelle il les a dessinées est presque maladive, au nombre de pavés près, s’enthousiasme Jérôme. Pour survivre, il échangeait ses dessins contre quelques pièces ou de la nourriture auprès des commerçants. » Certains d’entre eux possèdent encore quelques-unes de ses œuvres et les affichent parfois en vitrine. C’est le cas du studio Photo Morlet, situé à l’angle de la rue Mirebeau et du cours Avaricum. Le propriétaire des lieux, Camille Morlet, avait sympathisé avec l’artiste. En témoigne l’un des clichés exposés dans la boutique, un portrait de Bascoulard habillé de l’une de ses fameuses robes dont il dessinait lui-même les patrons. « Cela choquait la bourgeoisie berruyère, mais c’était un artiste complexe et avant-gardiste. Aujourd’hui, son nom est une signature dans le monde de l’art. » 

La cathédrale, le Monet de Bourges

La cathédrale Saint-Étienne se démarque par son absence de transe et son double déambulatoire.
La cathédrale Saint-Étienne se démarque par son absence de transe et son double déambulatoire. © Tuul and Bruno Morandi / Détours en France

Nous rebroussons chemin pour admirer ce qui est sûrement l’un des points de vue qui a le plus contribué à sa renommée. Rue Bourbonnoux, après un indispensable arrêt devant l’hôtel Lallemant, admirable bâtisse Renaissance bâti sur les remparts gallo-romains, nous empruntons l’escalier Georges-Sand qui débouche sur la place éponyme, puis sur la rue Porte-Jaune. De là, la silhouette de la cathédrale Saint-Étienne s’offre au regard dans toute sa splendeur. « Ici, Bascoulard a joué les Monet. À la manière du chef de file des impressionnistes à Reims, il a dessiné, puis redessiné la cathédrale. À tel point que cette vue est devenue culte pour les Berruyers. Pour Bascoulard, comme pour eux, c’était la plus belle de France », explique Jérôme tout en nous faisant faire le tour de cet immense vaisseau de 120 mètres de long. « On ne voit nulle part ailleurs ce genre de structure pyramidale sur plusieurs niveaux avec une nef centrale. »

Vaisseau de lumière

La cathédrale est réputée pour ses vitraux, princi- palement ceux du déambula- toire qui datent du xiiie siècle.
La cathédrale est réputée pour ses vitraux, principalement ceux du déambulatoire qui datent du XIIIe siècle. © Tuul and Bruno Morandi / Détours en France

À l’intérieur de l’édifice, on mesure avec plus de stupéfaction encore l’immensité de ses hautes voûtes. « La cathédrale de Bourges a le même style et la même envergure que Notre-Dame de Paris. C’est pour cette raison d’ailleurs que Jean-Jacques Annaud y a tourné Notre-Dame brûle, sorti en 2022. » Le spectacle ne se cantonne pas aux dimensions des lieux. Le long du déambulatoire, l’un des ensembles de vitraux les plus stupéfiants de France hypnotise ceux qui s’y promènent. Jérôme aime venir ici aux différentes heures de la journée, car l’ambiance, nous dit-il, change en permanence, jusqu’à influer sur la lecture que l’on peut faire de certaines scènes bibliques. Si la verrière la plus célèbre est sans doute celle de L’Annonciation, située dans la chapelle Jacques-Cœur, c’est le vitrail de Lazare et du mauvais riche qui a sa préférence : « Peut-être parce que j’y vois une parabole de la vie de Marcel Bascoulard... On parle ici de justice sociale. À la fin de sa vie, le riche est enseveli et devient anonyme, tandis que le pauvre, quand il meurt, est porté par les anges auprès d’Abraham. Lui qui a tant souffert pendant sa vie est désormais consolé par Dieu. En mon for intérieur, j’espère que le clochard génial de Bourges a connu, lui aussi, cette consolation après sa mort... »

À cœur vaillant rien d’impossible

Demeure de type gothique flamboyant, le palais Jacques- Cœur foisonne de bas-reliefs, faîtages et sculptures en tout genre. Ici, la galerie sud avec ses voûtes en accolade et sa cheminée.
Demeure de type gothique flamboyant, le palais Jacques-Cœur foisonne de bas-reliefs, faîtages et sculptures en tout genre. Ici, la galerie sud avec ses voûtes en accolade et sa cheminée. © Tuul and Bruno Morandi / Détours en France
En haut, le plafond de la chapelle, seule pièce à avoir conservé son plafond peint d’origine.
En haut, le plafond de la chapelle, seule pièce à avoir conservé son plafond peint d’origine. © Tuul and Bruno Morandi / Détours en France

À l’inverse de notre premier guide, le second a choisi de nous parler d’un héros moins miséreux de Tours. C’est peu de le dire ! Jacques Cœur, Berruyer de naissance, était en son temps – celui de la guerre de Cent Ans –, l’homme le plus riche du royaume. Bruno Lageline, propriétaire de l’Hôtel de Panette, situé tout près du stupéfiant palais Jacques-Cœur, s’est pris de passion pour cette personnalité emblématique de Bourges. « J’ai une admiration sans bornes pour ce que cet homme est parvenu à accomplir. Moi qui suis fils de commerçant, j’ai tout de suite été touché par son histoire : avoir réussi à créer un empire commercial et financier en seulement vingt ans, avec les moyens de l’époque, c’est-à-dire à cheval, c’est prodigieux. » Aux hôtes qui prennent une chambre dans son hôtel particulier, ce Berruyer de 60 ans conseille tou- jours de commencer la visite de la ville par le palais construit par l’illustre Grand Argentier de Charles VII. Si l’extérieur du palais, mélange de gothique flamboyant et de Renaissance, est indéniablement somptueux, c’est à l’intérieur que se trouvent les éléments décoratifs auxquels notre guide est le plus sensible. « C’est à travers eux que s’expriment la personnalité et les goûts de Jacques Cœur, à l’image de sa célèbre devise “À cœur vaillant rien d’impossible”. » La chapelle surtout, somptueusement décorée de peintures religieuses et de sublimes vitraux, exprime tout le grandiose du personnage.

Projets culturels d’ampleur

Bruno Lageline, assis devant sa propriété, un hôtel particulier à l'histoire extraordinaire,
Bruno Lageline, assis devant sa propriété, un hôtel particulier à l'histoire extraordinaire, dans le centre-ville de Bourges. © Tuul and Bruno Morandi / Détours en France

Bruno Lageline, lui aussi, a le goût des belles choses. Il y a douze ans, il fait l’acquisition dans le centre-ville d’un bâtiment aux allures de ruines, mais à l’histoire extraordinaire. « C’est un hôtel particulier au même titre que le palais Jacques-Cœur ou l’hôtel Lallemant, avec cette particularité commune de posséder une cour et un jardin. Bourges en comptait beaucoup », explique cet amoureux des vieilles pierres. « Mais avant cela, c’était une trésorerie de la Sainte-Chapelle construite par le duc Jean de Berry au XVe siècle, dont il reste un vestige aujourd’hui », précise-t-il en pointant le magnifique portail sculpté. Au XVIIIe siècle, le marquis de Tristan, nouveau propriétaire des lieux, édifie l’actuel hôtel particulier qui sera revendu au marquis de Panette. Mais le bâtiment sera connu surtout pour avoir abrité la cour d’Espagne. « L’infant d’Espagne don Carlos de Bourbon, prétendant malheureux au trône, et son épouse Marie-Thérèse de Portugal, réfugiés en France entre 1839 et 1844, ont demeuré ici. Toutes les têtes couronnées de l’époque ont ainsi entendu parler de cette demeure. » Après des années de travaux de restauration, le bâtiment acheté en 2011 a retrouvé toute sa superbe. Sensibilisé à la sauvegarde du patrimoine architectural de Bourges, Bruno multiplie désormais les initiatives pour le faire connaître et le valoriser. Il vient de créer, en partenariat avec deux autres entrepreneurs, un fonds de dotation appelé « Ambassadeurs de Bourges » pour accompagner des projets culturels et artistiques afin de redynamiser le centre-ville vidé de ses commerces de proximité. « Il s’agit de redonner vie aux boutiques fermées, en les transformant en vitrine d’art et en lieux d’exposition. Car tout comme le commerce, l’art participe à l’attractivité d’une ville. » Il y a tout juste deux ans, Bruno recevait le directeur de Beaubourg pour « essayer, dit-il, de le convaincre d’un grand projet en centre-ville. Un formidable écrin pour accueillir des expositions ». Affaire à suivre...

Sources

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