Maître-chien Madec, adjudants Tripard et Robin : secouristes du PGHM

Évoquer le PGHM (Peloton de gendarmerie de haute montagne), c’est convoquer des images de secours héliportés dans des conditions extrêmes ou de recherche de personnes ensevelies sous une avalanche. La plus ancienne unité de France est née à Chamonix, en 1958, au pied du massif du Mont-Blanc.
« Chamonix, c’est La Mecque du secours engagé et technique, avec de nombreuses interventions au-delà des 4 000 mètres », souligne le maître-chien Madec, interpellé par les conditions de terrain et le froid, bien plus drastiques que dans ses Pyrénées natales. Parmi les trois maîtres-chiens de l’équipe cynophile du PGHM de Chamonix, c’est lui qui est de permanence aujourd’hui au centre opérationnel, la DZ (Drop Zone) des Bois. Le long bâtiment incurvé flanqué de deux hangars pour les hélicoptères est dissimulé entre les arbres, au hameau de Praz, au pied de la mer de Glace.
On choisit un chien adapté aux conditions de la montagne, doté d’un excellent flair et très joueur
Près du tarmac, Pooks traîne une branche, l’apporte à son maître, bondit sur les monticules de neige. « C’est un malinois âgé de trois ans, explique-t-il. On choisit un chien adapté aux conditions de la montagne, doté d’un excellent flair et très joueur, car c’est par le jeu qu’on le forme. On lui apprend à chercher un jouet enfoui dans la neige, souvent un boudin avec deux attaches, que l’on associe à un humain. Pour les exercices, une personne se cache sous la neige avec le jouet et le chien s’entraîne à les retrouver. À partir d’une odeur de référence, par exemple celle d’un bonnet, on l’éduque aussi à percevoir des odeurs humaines qui sortent du manteau neigeux. » Au moyen de deux injonctions, « en avant » et « cherche », le maître-chien Madec réussit à lancer Pooks à la recherche des victimes d’avalanche.

Brancard léger et polyvalent, pack oxygène d’urgence compact... dans le local technique du centre opérationnel, les adjudants Tripard et Robin tiennent à nous dévoiler les coulisses du centre. « On le sait moins, mais le PGHM, fort de son expertise sur le terrain, s’implique dans la mise au point d’un matériel de secours innovant aux côtés de partenaires industriels et de la Chamoniarde », insistent-ils. Les outils basés sur la téléphonie mobile sont prometteurs. Parmi eux, « Lifeseeker » est testé pour rechercher des personnes à partir de leur smartphone depuis l’hélicoptère de secours. L’adjudant Tripard est montagnard, originaire de Passy, plus bas dans la vallée. L’adjudant Robin a grandi à La Rochelle. « En poste à Annecy, j’ai découvert la montagne et j’ai voulu aller plus haut. Je me suis formé à l’alpinisme pour intégrer le PGHM », précise-t-il. À la fois gendarmes et secouristes, les membres du PGHM de Chamonix réalisent plus de 1 300 interventions par an, dont une quinzaine par jour en février et en juillet. En hiver, les principaux risques sont liés aux avalanches et aux chutes dans des crevasses camouflées par la neige.
Christophe Boloyan, ange gardien des skieurs

C’est à lui qu’incombe la responsabilité de donner le feu vert pour l’ouverture du domaine skiable des Grands Montets, suspendu au-dessus d’Argentière, à quelques kilomètres au nord-est de Chamonix.
À l’aube, Christophe Boloyan, chef des pistes, emprunte la télécabine de Plan-Joran pour se propulser jusqu’au poste de secours de Lognan, à près de 2 000 mètres d’altitude. Un moment privilégié où la montagne semble lui appartenir. « À cette heure-là, on raye une piste vierge », apprécie le quinquagénaire, le visage confiné entre son casque et un tour de cou. En face du poste de secours se découpent les aiguilles Rouges : « C’est de là qu’on voit arriver les dépressions venues du nord-ouest. Mon métier – et celui des pisteurs artificiers et chauffeurs de dameuses – consiste à assurer la sécurité des skieurs. Suivi de la quantité et de la qualité de la neige, déclenchement des avalanches, entretien du domaine, organisation des secours... voilà nos missions », dit-il avant d’aller mesurer l’épaisseur du manteau neigeux, la température extérieure et juger de la qualité de la neige. « Une fois par semaine, on réalise un sondage par battage. Avec une pelle, on met au jour une coupe du manteau neigeux pour étudier les couches qui le composent, leur dureté, leur type de neige. Plus la différence de température entre la base et le sommet du manteau neigeux est élevée, plus le risque d’instabilité est grand. Certaines neiges favorisent aussi le glissement de plaques », ajoute l’expert avant de transmettre les informations du jour à Météo France et de déclarer le domaine ouvert.
Voir le manteau neigeux se fracturer et dévaler comme une vague furieuse reste un moment exceptionnel

L’appel de la montagne, Christophe l’a ressenti... au bord de la mer, à Marseille. « À 13 ans, j’ai découvert l’escalade dans les calanques et le désir de devenir guide de haute montagne s’est vite imposé. » Il étudie la géologie puis découvre le métier de pisteur. « Dans ce métier, trois activités me font me sentir privilégié : le ski dans un paysage vierge, le secours porté aux autres et le déclenchement, à titre préventif, des avalanches. Voir le manteau neigeux se fracturer et dévaler comme une vague furieuse reste un moment exceptionnel. » Membre de la Compagnie des guides de Chamonix, il a également présidé la Chamoniarde, la société de prévention et de secours en montagne de Chamonix qui réunit une cinquantaine de bénévoles. Sa finalité ? Pérenniser la liberté d’accès à la haute montagne.
Eddy Rambaldini, profession dameur

Le soleil se couche derrière la chaîne des Aravis. Les feux des dameuses s’allument alors, sur l’autre versant de la vallée de Chamonix, à La Flégère et au Brévent. C’est l’heure où le dameur entre en piste.
« J’aime la solitude la nuit dans la haute montagne, aux manettes de ma machine », confie Eddy Rambaldini, jeune chauffeur d’engin de damage au sein du domaine skiable des Grands Montets. À peine hissé dans son véhicule, on se sent glisser dans le sens de la pente. Sur ce site très escarpé, il utilise une dameuse avec un treuil. « Le câble, d’une longueur de 1 000 mètres, peut tracter jusqu’à 4,6 tonnes. Sans lui, il serait impossible de remonter sur les pistes des Grands Montets », dit-il. En cette fin janvier, il se réjouit des bonnes conditions de damage : « Pas de bosses sur la piste, et un froid vif. J’obtiendrai de meilleures finitions. » Après avoir accroché le treuil de la machine à un point d’ancrage, il peut commencer son ballet : monter et ramener, avec la lame située à l’avant, la neige en haut de la piste ; descendre et lisser la piste avec la fraise à arrière de l’engin.
Il faut faire preuve de sang-froid pour affronter les conditions de tempête

« Plus jeune, j’étais skieur de compétition et je grimpais souvent aux côtés de mon oncle, chauffeur de dameuse. C’est là que j’ai contracté le virus », explique le Chamoniard qui ne se lasse pas de la vue spectaculaire sur les Drus et la vallée Blanche depuis le haut de Bochard, son secteur préféré perché à près de 2 800 mètres. « Il faut faire preuve de sang-froid pour affronter les conditions de tempête », modère-t-il. Et de se souvenir d’« une avalanche qui a enseveli la machine ! J’ai vu des branches arriver sur mon pare-brise, portées par son souffle. J’ai vite fait marche arrière mais la neige m’a rattrapé, puis a fait chavirer l’appareil. Heureusement, j’ai pu m’extraire. » Peu après, nous sautons de la dameuse pour redescendre à ski. Eddy, lui, poursuivra son travail jusque tard dans la nuit. « Empruntez la piste Pierre à Ric. Nous les travaillons seulement le matin, car le soir, elle est empruntée par des skieurs-randonneurs. » Eddy n’est pas le seul à aimer la montagne la nuit.
Ludovic Ravanel, le goût de la science en haute montagne

Sa famille est la plus représentée dans l’histoire de la Compagnie des guides de Chamonix. En près de deux cents ans, quatorze Ravanel ont accompagné des courses vers les sommets du massif du Mont-Blanc. L’un d’eux, Joseph Ravanel, surnommé « le Rouge » à cause de sa chevelure, a même donné son nom en 1902 à une aiguille qui culmine à près de 4 000 mètres entre les glaciers de Talèfre et d’Argentière. Naturellement, Ludovic Ravanel fait partie de la Compagnie. Il est aussi géomorphologue, directeur de recherche au CNRS rattaché au laboratoire Edytem de l’université Savoie-Mont-Blanc. « Je suis un géologue spécialiste des reliefs, résume-t-il. Mes travaux s’intéressent aux processus à l’origine des reliefs et à leurs effets sur les pratiques et les infrastructures de haute altitude. Quels sont les itinéraires de course affectés par le réchauffement ? Quels refuges ou remontées mécaniques sont fragilisés et doivent être adaptés ou déplacés ? Mon métier répond à ces questions, c’est de la prévention des risques. »
Je suis un géologue spécialiste des reliefs
Sur la terrasse de la gare du Montenvers, des visiteurs s’attardent, malgré le froid, pour jeter un dernier regard sur la mer de Glace. En face de nous, la face ouest des Drus. « La zone la plus claire que vous apercevez signale la partie du pilier Bonatti qui s’est effondrée en 2005. Sur une zone de 700 mètres de haut, 800 000 tonnes de roches se sont écroulées ! Cela a déterminé mes recherches sur le permafrost, qui permet à de la glace de se former durablement dans des fissures et d’agir comme un ciment. Avec le changement climatique, ce ciment fond et déstabilise les parois », explique le quadragénaire.

Dès la mi-août, il traque sur le terrain les signes d’évolution du relief. Plus de 80 % de ses recherches s’effectuent sur le massif du Mont-Blanc. « Comme la plupart des Chamoniards, je me sens enraciné dans cette vallée. Mon métier me permet de conjuguer mon amour de la science et du milieu de haute altitude. Il a aussi aiguisé mon regard sur les risques et l’accélération des changements à l’œuvre. » Et de rappeler que Chamonix est aux avant-postes de la connaissance et de la sensibilisation des guides sur le sujet. « Les recherches sur le permafrost ont commencé ici, car le massif du Mont-Blanc est davantage exposé aux risques de déstabilisation, avec un granit dur et fracturé, des pentes raides et de nombreuses zones de permafrost. » Pour autant, Ludovic Ravanel ne cède pas au pessimisme. « On travaille pour adapter pratiques et infrastructures à l’évolution de la montagne. Les courses changeront de saison, elles n’auront plus lieu en été mais plutôt au printemps ou à l’automne. »
Florian Novel, gardien de phare de l'aiguille du Midi

Depuis 1955, deux gardiens passent la nuit au sommet du téléphérique de l’aiguille du Midi. La journée, ils sont cabiniers, contrôleurs, agent d’accueil, chargé de l’entretien ou mécaniciens, employés par la Compagnie du Mont-Blanc, exploitant des remontées mécaniques de la vallée de Chamonix-Mont-Blanc.
Deux jours par mois, ils sont d’astreinte pour la nuit, au sommet de l’installation étagée entre 3 777 et 3 842 mètres. Ce matin, dans la benne de 8h10 qui monte le personnel avant l’ouverture, Florian Novel se réjouit. Il est l’un des deux gardiens de nuit. « Travailler ici était un rêve pour moi. Peu de gens ont l’opportunité d’être quotidiennement à plus de 3 500 mètres », explique le trentenaire, originaire de la vallée de Passy, entré dans l’équipe il y a une dizaine d’années. À l’arrivée, il dépose son baluchon dans le petit appartement, deux chambres et un salon équipé d’une télé... et d’un humidificateur d’air. « Personnellement, je dors bien. Ici, on est confronté à l’hypoxie, un phénomène physiologique provoqué par l’altitude, avec 35 % d’oxygène en moins dans l’air comparé au niveau de la mer. » Le souffle court, on acquiesce. « On sait quand on monte mais on ne sait pas quand on redescend », poursuit-il. Les conditions ici ? « La température est déjà tombée à – 32 °C. Pour le vent, un record à 250 kilomètres par heure. C’était pendant la tempête Eleanor, en janvier 2018 : nous sommes restés coincés quatre jours... »
Peu de gens ont l’opportunité d’être quotidiennement à plus de 3 500 mètres

Informer sur les conditions météo au sommet pour fixer l’heure d’ouverture, déneiger les terrasses ou dégivrer les câbles, tout cela fait partie des missions de l’équipe de nuit. « Si des secours doivent intervenir au milieu de la nuit et que le Peloton de gendarmerie en haute montagne (PGHM) ne peut pas faire voler son hélicoptère, nous pouvons aussi être réquisitionnés pour faire monter leurs équipes », ajoute Florian. Il est d’ailleurs formé aux gestes de premiers secours et dispose, sur place, d’un caisson hyperbare gonflable, engin nécessaire pour reproduire une descente en altitude si une personne victime d’un malaise ne peut pas redescendre avec le téléphérique à cause de la météo. Quand on l’interroge sur ce qu’il aime si haut, au-delà des panoramas exceptionnels, il souligne un paradoxe : « L’aiguille du Midi est un site très isolé qui, par sa haute fréquentation, m’offre un contact avec le monde. »